Georges Bataille par Eli Lotar dans “Une partie de campagne”, de Jean Renoir, 1936 |
Un
corps nu, exhibé, peut être vu avec indifférence. De même il
est facile de regarder le ciel au-dessus de soi comme un vide. Un
corps exhibé, toutefois, possède à mes yeux le même pouvoir que
dans le jeu sexuel, et je puis ouvrir dans l'étendue claire ou
sombre du ciel la blessure à laquelle j'adhère comme à la nudité
féminine. L'extase cérébrale éprouvée par un homme embrassant
une femme a pour objet la fraîcheur de la nudité ; dans
l'espace vide, dans la profondeur ouverte de l'univers, l'étrangeté
de ma méditation atteint de même un objet qui me délivre.
...
L'érotisme est cruel, il mène à la misère, il exige de ruineuses
dépenses. Il est trop onéreux pour être au surplus lié à
l'ascèse. En contrepartie, les états mystiques, extatiques, qui
n'entraînent pas la ruine matérielle ou morale, ne se passent pas
de sévices exercés contre soi-même. L'expérience que j'ai de l'un
et des autres rend claires à mes yeux ces conséquences contraires
de deux sortes d'excès. Pour renoncer à mes habitudes érotiques,
je devrais inventer un nouveau moyen de me crucifier : il ne
devrait pas être moins enivrant que l'alcool.
...
Pendant quelques jours, la vie accède à l'absurdité vide. Il en
résulte une merveilleuse détente : à l'esprit se révèle la
puissance illimitée, l'univers à la disposition du désir, mais le
trouble s'introduit vite.
...
Un homme, une femme, attirés l'un vers l'autre, se lient par la
luxure. La communication qui les mêle tient à la nudité de leurs
déchirures. Leur amour signifie qu'ils ne voient pas l'un en l'autre
leur être, mais leur blessure, et le besoin d'être perdu : il
n'est pas de désir plus grand que celui du blessé pour une autre
blessure.
...
Chaque homme est étranger à l'univers, appartient aux objets, aux
repas, aux journaux – qui l'enferment dans sa particularité
-, le laissant dans l'ignorance de tout le reste. Ce qui lie
l'existence à tout le reste est la mort : quiconque regarde la
mort cesse d'appartenir à une chambre, à des proches, il se rend
aux libres jeux du ciel.
...
Il
est dans le visage humain une complication infinie de détours et
d'échappatoires, répondant au trafic d'esprit sur quoi tout repose.
On n'imagine plus de réduire la vie à la simplicité du soleil.
Chacun de nous toutefois, porte en lui cette simplicité : il
l'oublie pour des complications de hasard, dépendant de l'angoisse
avare du moi.
...
Une sorte de rayonnement, le bonheur
physique et, je le crois, le plus violent : je suis le lézard
des murailles ! Au soleil, un chaos où le sang s'écoule.
Au hasard des chances... hier je n'aurai parlé que d'angoisse ;
je me vante aujourd'hui – il me faut me vanter _ de mon
« impassibilité lucide » ! De chaque humeur
l'origine est capricieuse. L'existence animale, que mesure le soleil
ou la pluie, se joue des catégories du langage.
Untitled drawing for Soleil Vitre by Georges Bataille |