jeudi 26 décembre 2019

Comte de Lautréamont - Apostrophe à l’océan (extrait) lu par Akenatatomburisigui

Les Chants de Maldoror, 1938, Oscar Dominguez
Vieil Océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t’enorgueillis à juste titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je m’empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les molles effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi les attributs dont le souverain pouvoir t’a gratifié, tu déroules, au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts intervalles. À peine l’une diminue, qu’une autre va à sa rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de l’écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume (Ainsi les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l’un après l’autre d’une manière monotone, mais sans laisser de bruit écumeux.) […] Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux ! Vieil Océan, aux vagues de cristal… Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai pas la force de poursuivre, car je sens que le moment est venu de revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal ; mais… courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons avec le sentiment du devoir notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil Océan !

(Extrait de Lautréamont, Les chants de Maldoror, 1869, chant 1, strophe 9)



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lundi 28 octobre 2019

Antonin Artaud - Les Dix-Huit Secondes

Antonin Artaud portant dans ses mains la boule de cristal
  
Dans une rue, la nuit, sur le bord d'un trottoir, sous un bec de gaz, un homme en noir, le regard fixe, tourmentant sa canne, à sa main gauche une montre pend. L'aiguille marque les secondes.
  Gros plan de la montre marquant les secondes.
  Les secondes passent avec une lenteur infinie sur l'écran.
  À la dix-huitième seconde, le drame sera terminé.
 Le temps qui va se dérouler sur l'écran est un temps intérieur à l'homme qui pense.
 Ce n'est pas le temps normal. Le temps normal est de dix-huit secondes réelles. Les événements que l'on va voir s'écouler sur l'écran seront constitués par des images intérieures à l'homme. Tout l'intérêt du scénario réside dans ce fait que le temps pendant lequel se passent les événements décrits est réellement de dix-huit secondes alors que la description de ces événements demandera une heure ou deux pour être projetée sur l'écran.
 Le spectateur verra se dérouler devant lui les images qui, à un moment donné, se mettront à défiler dans l'esprit de l'homme.
 Cet homme est un acteur. Il est sur le point d'atteindre la gloire, tout au moins une grande renommée, et il va également conquérir le cœur d'une femme qu'il aime depuis longtemps.
 Il a été frappé d'une maladie bizarre. Il est devenu incapable d'atteindre ses pensées; il a conservé sa lucidité entière, mais quelque pensée qui se présente à lui, il ne peut plus lui donner une forme extérieure, c'est-à-dire la traduire en gestes et en paroles appropriés.
 Les mots nécessaires lui manquent, ne répondent plus à son appel, il en est réduit à ne voir défiler en lui que des images, un surcroît d'images contradictoires et sans grand rapport les unes avec les autres.
 Ceci le rend incapable de se mêler à la vie des autres, et de se livrer à une activité.
 Vision de l'homme chez le docteur. Les bras croisés, les mains crispées à l'extérieur. Le docteur, énorme au-dessus de lui. Le docteur laisse tomber sa sentence.
 Nous retrouvons l'homme sous le bec de gaz au moment où il réalise intensément son état. Il maudit le ciel, il pense: Et cela juste au moment, où j'allais commencer à vivre ! Et conquérir le cœur de la femme que j'aime, et qui s'est livrée si difficilement.
 Vision de la femme, très belle, énigmatique, visage dur et fermé.
 Vision de l'âme de la femme telle que se l'imagine l'homme.
 Paysage, fleurs, dans des éclairages somptueux.
 Geste de malédiction de l'homme :
 Oh ! Être n'importe quoi ! Être ce camelot misérable et bossu qui vend ses journaux le soir, mais posséder vraiment toute l'étendue de son esprit, être vraiment maître de son esprit, penser enfin !
Vision rapide du camelot dans la rue. Puis, dans sa chambre, la tête dans ses mains, comme s'il tenait le bloc terrestre. Il possède vraiment son esprit. Celui-là au moins possède vraiment son esprit. Il peut espérer conquérir le monde et il est en droit de penser qu'il arrivera à le conquérir réellement un jour.
 Car il possède aussi l'INTELLIGENCE. Il ne connaît pas les possibilités de son être, il peut espérer tout posséder : l'amour, la gloire, la domination. Et en attendant, il travaille et il cherche.
 Vision du camelot gesticulant devant sa fenêtre : les villes qui bougent et tremblent sous ses pieds. De nouveau, à sa table. Avec des livres. Le doigt tendu. Des volées de femmes dans l'air. Des trônes amoncelés.
  Qu'il trouve seulement le problème central, celui dont tous les autres dépendent, et il pourra espérer conquérir le monde.
  Qu'il trouve non pas même la solution du problème, mais seulement, quel est ce problème central, en quoi il consiste, qu'il trouve enfin à le poser.
  Eh ! Mais, et sa bosse ? Sa bosse aussi peut-être lui sera enlevée par surcroît.
  Vision du camelot au centre d'une boule en cristal. Éclairage à la Rembrandt. Et au centre un point lumineux. La boule devient le globe. Le globe devient opaque. Le camelot disparaît au milieu et en sort comme le diable de sa boîte avec sa bosse sur le dos.
  Et le voilà parti à la recherche du problème. On le rencontre dans des bouges fumeux, au milieu de groupements où l'on cherche on ne sait quel idéal. Rassemblements rituels. Des hommes font des discours véhéments. Le bossu à une table écoutant. Hochant la tête, désabusé. Au milieu des groupes, une femme. Il la reconnaît : c'est Elle ! Il crie  : Ah ! Arrêtez-la ! Elle espionne, dit-il. Brouhaha. Tout le monde se lève. La femme s'enfuit. Lui est roué de coups et jeté sur la place.
  Qu'ai-je fait ? Je l'ai trahie, je l'aime ! Prononce-t-il.
  Vision de la femme chez elle. Aux pieds de son père : Je l'ai reconnu. Il est fou.
  Et il s'en va plus loin, continuant à chercher. Vision de l'homme sur une route avec un bâton. Puis, devant sa table, fouillant des livres, – couverture d'un livre en gros plan : la Kabbale. Tout à coup on frappe à la porte. Des sbires entrent. On se jette sur lui. On lui met la camisole de force: il est emporté chez les fous. Il devient fou réellement. Vision de l'homme se débattant avec des barreaux. Je trouverai, crie-t-il, le problème central, celui auquel tous les autres pendent comme les fruits à la grappe, et alors :
  Plus de folie, plus de monde, plus d'esprit, surtout, plus rien.
  Mais une révolution balaie les prisons, les asiles, on ouvre les portes des asiles
; il est délivré. C'est toi, le mystique, lui crie-t-on, tu es notre Maître à tous, viens. Et, humblement, il dit non. Mais on l'entraîne. Sois roi, lui dit-on, monte sur le trône. Et il monte en tremblant sur le trône.
  On se retire et le laisse seul.
  Vaste silence. Magique étonnement. Et tout à coup il pense : Je suis maître de tout, je peux tout avoir.
  Il peut tout avoir, oui, tout sauf la possession de son esprit. Il n'est toujours pas maître de son esprit.
  Mais qu'est-ce enfin que l'esprit ? En quoi cela consiste-t-il ? Si l'on pouvait seulement être maître de sa personne physique. Avoir tous les moyens, pouvoir tout faire de ses mains, de son corps. Et pendant ce temps, les livres s'entassent sur sa table. Et là-dessus, il s'endort.
  Et au milieu de cette rêverie mentale, va s'introduire un nouveau rêve.
  Oui, pouvoir tout faire, être orateur, peintre, acteur, oui, mais n'est-il pas déjà acteur ? Il est acteur en effet. Et le voici, voici qu'il se voit sur la scène avec sa bosse, aux pieds de sa maîtresse qui joue avec lui. Et sa bosse aussi est fausse : elle est jouée. Et sa maîtresse est sa maîtresse véritable, sa maîtresse de la vie.
  Une salle magnifique, regorgeant de monde, et le roi dans sa loge. Or, c'est aussi lui qui joue le personnage du roi. Il est le roi, il écoute et se voit en même temps sur la scène. Et le roi n'a pas de bosse. Il a trouvé : l'homme bossu qui est sur la scène n'est que l'effigie de lui-même, un traître, qui lui a pris sa femme, qui lui a volé son esprit. Alors, il se lève et il clame : Arrêtez-le. Brouhaha. Vaste mouvement. Les acteurs l'interpellent. La femme lui crie : Ce n'est plus toi, tu n'as plus ta bosse, je ne te reconnais plus. Il est fou ! Et au même instant, les deux personnages se fondent l'un dans l'autre sur l'écran. La salle tout entière tremble avec ses colonnes et ses lampadaires. Le tremblement s'accélère de plus en plus. Et sur ce fond tremblant, passent toutes ses images, tremblantes elles aussi, du roi, du camelot, de l'acteur bossu, du fou, de l'asile, des foules, et il se retrouve sur le trottoir sous le bec de gaz, avec sa montre qui pend à sa main gauche, et sa canne agitée du même mouvement.
  Dix-huit secondes à peine se sont écoulées; il contemple une dernière fois sa destinée misérable, puis sans hésitation ni émotion aucune, il sort un revolver de sa poche et s'en tire une balle dans la tempe.


Œuvres Complètes, tome III, Éditions Gallimard, 1961 // Les Cahiers de la Pléiade, printemps 1949.)

« (...Les Dix-Huit Secondes est, sans doute, le premier des scénarios d'Antonin Artaud, transmis d'après une copie dactylographiée conservée par Génica Athanasiou (pour qui il a manifestement été écrit) et publié pour la première fois dans Les Cahiers de la Pléiade, n° 7 au printemps 1949 - soit, pour Artaud à titre posthume. Quoique la date ne soit pas mentionnée, nous pensons pouvoir situer ce « premier » scénario entre 1923 et, au plus tard, 1924. Ce que l'on pourrait résumer comme le « cri d'amour d'un acteur désespéré » comporte en effet un certain nombre d'indications autobiographiques assez précisément datables. Cette femme énigmatique, très belle, au visage dur et ferme dont il s'apprêtait à conquérir le cœur, c'est Génica Athanasiou (...) »

( Jean-Paul Morel, in « Anthologie du Cinéma Invisible (100 scénarios pour 100 ans de cinéma )» de Christian Janicot,. Une coédion Arte Éditions – Éditions Jean-Michel Place, 1995.)

vendredi 23 août 2019

Georges Bataille - Histoire naturelle

 Edouard Manet, Le torero mort (1864-1865


« […] il est nécessaire à la vie commune de se tenir à hauteur de mort. Le lot d'un grand nombre de vies privées est la petitesse. Mais la communauté ne peut durer qu'au niveau d'intensité de la mort ; elle se décompose dès qu'elle manque à la grandeur particulière au danger. »

La Limite de l'utile, Œ.C., t. VII, p.246.

 Femme assise, néolithique myen, culture Hamangia,
Cernavoda, Roumanie







« L'homme, eût-il perdu le monde en quittant l'animalité, n'en est pas moins devenu cette conscience de l'avoir perdu, que nous sommes […] »

La Part maudite, Œ.C., t. VII, p. 127.











Chapiteau de l'église Saint-Pierre de Chauvigny

«  Je n'en parlerai pas à tout instant, mais ne pourrai la perdre de vue ; la fin même de mes énoncés reviendra à ce point de départ ; cette situation est donnée lorsqu'un animal en mange un autre.
[…]
« Il n'est rien dans la vie animale qui introduise le rapport du maître à celui qu'il commande, rien qui puisse établir d'un côté l'autonomie et de l'autre la dépendance. Les animaux, puisqu'ils se mangent les uns les autres, sont de force inégale, mais il n'y a jamais entre eux que cette différence quantitative. Le lion n'est pas le roi des animaux : il n'est dans le mouvement des eaux qu'une vague plus haute renversant les autres plus faibles. »

Théorie de la religion, Œ.C., t. VII, pp.291-292.

André Masson, Femmes damnées, vers 1922



« Sans doute l'homme archaïque ne participait pas continuellement à la violence contagieuse de l'intimité, mais s'il en était éloigné, toujours les rites gardaient à l'échéance voulue la puissance de l'y reconduire. »

Théorie de la religion, Œ.C., t. VII, p. 327.







 Indiens Munduruku.
Téte trophée momifiée (Brésil






« Ces matières où grouillent les œufs, les germes et les vers ne nous serrent pas seulement, mais nous lèvent le cœur. La mort n'est pas réduite à l'amer anéantissement de l'être – de tout ce que je suis qui attend d'être encore […] : c'est aussi ce naufrage dans le nauséeux. Je retrouverai l'abjecte nature et la purulence de la vie anonyme, infinie, qui s'étende comme la nuit, qu'est la mort. Un jour ce monde vivant pullulera dans une bouche morte. »


Histoire de l'érotisme, Œ.C., t. VIII, p. 70.


Coupe (intérieur  après restauration),
Sacrifice d'un porc  . (Vers 510 - 500 av J.C.)
Peintre d'Epidromos (début 5e siècle av J.-C.).
Paris, musée du Louvre




« Si effroyable qu'elle soit, la misère humaine n'a jamais eu une emprise suffisante sur les sociétés pour que le souci de la conservation, qui donne à la production l'apparence d'une fin, l'emporte sur celui de la dépense improductive. »

La notion de dépense, Œ.C., t. 1, p. 308.






 Theodor de Bry  (1528–1598) -
Sacrifices humains par les Aztèques






« En général, le sacrifice humain est le moment aigu d'un débat opposant à l'ordre réel et à la durée du mouvement d'une violence sans mesure. C'est la contestation la plus radicale du primat de l'utilité […] Celui qui déchaîne ses forces de destruction au-dehors ne peut être avare de ses ressources. S'il réduit l'ennemi en esclavage, il lui faut, d'une façon spectaculaire, faire de cette nouvelle richesse un usage glorieux. Il lui faut détruire en partie ces choses qui le servent, car il n'est rien d'utile près de lui qui ne doive répondre, d'abord, à l'exigence de consumation de l'ordre mythique. »


Théorie de la religion, Œ.C., t. VII p. 317.


"Blocks II à V à Auschwitz II-Birkenau" , David Olère, 1945


« Il est généralement dans le fait d'être homme un élément lourd, écœurant, qu'il est nécessaire de surmonter. Mais ce poids et cette répugnance n'ont jamais été aussi lourds que depuis Auschwitz […] comme les Pyramides ou l'Acropole, Auschwitz est le fait, est le signe de l'homme. L'image de l'homme est inséparable, désormais, d'une chambre à gaz. »


Compte rendu de « Réflexions sur la question juive ».de Jean-Paul Sartre, Œ.C., t. XI, P. 226.






Francisco  de Goya (1746 -1828),
El agarrotado


« Les bourreaux sont nos semblables. Il nous faut encore nous interroger ; n'y a-t-il rien dans notre nature qui rende tant d'horreur impossible ? Et nous devons bien nous répondre : en effet, rien. Mille obstacles en nous s'y opposent... Ce n'est pas impossible néanmoins. Notre possibilité n'est donc pas la seule douleur, elle s'étend à la rage de torturer. »


« Réflexions sur la victime et le bourreau » Œ.C., t. XI, p.266.








 Famille esclave à Bourbon, gravure de Moreau le Jeune, 1772


« Nul ne peut faire une chose de l'autre lui-même qu'est l'esclave sans s'éloigner en même temps de ce qu'il est lui-même intimement, sans se donner lui-même les limites de la chose .
[…] L'esclavage introduit dans le monde l'absence de lumière qu'est la position séparée de chaque chose, réduite à l'usage qu'elle a. »


La Part maudite, Œ.C., t. VII, pp. 61-62.







Saint Georges Hare, La victoire de la Foi, 1891

« Nous touchons la grande maladie chronique de notre temps, l'impuissance à dépasser la différence raciale. »


« La question coloniale », Œ.C., t . XI., p.462.




Auguste Rodin, La porte de l'enfer, 
1880–1917 (détail)






« Le monde des amants n'est pas moins vrai que celui de la politique. Il absorbe même la totalité de l'existence, ce que la politique ne peut pas faire. »


L'Érotisme, Œ.C., t. X.













 Francisco de Goya - Les désatres de la guerre, 1810-1820

« […] c'est assez exactement l'impossible que ses dessins tentent de représenter : les déchéances de la misère, de l'infirmité et de la vieillesse, la folie, la stupidité, la tuerie, les terribles figures de rêve, et, comme une obsession dominante, la vie traquée dans les supplices de l'Inquisition. »


« Goya », Œ.C., t. XI, p. 310.




 Georg Wilhelm Friedrich Hegel
by Julius Ludwig Sebbers






« Il semble toutefois que Hegel ne manqua de fierté (ne fut domestique) qu'en apparence. Il eut sans doute un ton de bénisseur irritant, mais sur un portrait de lui âgé, j'imagine lire l'épuisement, l'horreur d'être au fond des choses – d'être Dieu. »


L'Expérience intérieure, Œ.C.,t. V, p. 128.














 Friedrich Nietzsche (1844-1900),
tableau par Edvard Munch, 1906



« Je suis le seul à me donner, non comme un glossateur de Nietzsche, mais comme étant le même que lui. »


La Souveraineté, Œ.C., t. VIII, p. 401.









Emil Nolde, Crucifixion, 1912




« La théologie maintient le principe d'un monde achevé, de tout temps, en tous lieux, et jusque dans la nuit du Golgotha. Il suffit que Dieu soit. Il faut tuer Dieu pour apercevoir le monde dans l'infirmité de l'inachèvement. »


Le Coupable, Œ.c.,t. V, p . 262.











La vache rouge, grotte de Lascaux

« Ces traces que ces hommes ont laissées de leur humanité lointaine, qui nous parviennent après des dizaines de milliers d'années, se bornent, ou peu s'en faut, à des représentations d'animaux. Ces hommes ont rendu sensible pour nous, le fait qu'ils étaient devenus des hommes que les limites de l'animalité ne bornaient plus, mais ils l'ont rendu sensible en nous laissant l'image de l'animalité même dont ils s'évadaient. »

« Le Passage de l'animal à l'homme et la naissance de l'art », Œ.C.,t. XII, p.262.



 Félicien Rops, Le Bouge à matelots, 1875




« […] la prostitution, le vocabulaire ordurier et tous les liens de l'érotisme et de l'infamie contribuent à faire du monde de la volupté un monde de déchéance et de ruine. Nous n'avons de bonheur véritable qu'à dépenser vainement, comme si une plaie s'ouvrait en nous : nous voulons toujours être sûrs de l'inutilité, parfois du caractère ruineux de notre dépense […] Nous voulons un monde renversé, nous voulons le monde à l'envers. La vérité de l'érotisme est trahison. »


L'Érotisme, Œ;C., t. X, p. 170.












Vladimir Vélickivic, Homme fig. I, 1975-1977

« À l'unité césarienne que fonde un chef, s'oppose la communauté sans chef liée par l'image obsédante d'une tragédie. La vie exige des hommes assemblés, et les hommes ne sont assemblés que par un chef ou par une tragédie. Chercher la communauté humaine sans tête est chercher la tragédie : la mise à mort du chef elle-même est tragédie ; elle demeure exigence de tragédie. Une vérité qui changera l'aspect des choses humaines commence ici : l'élément émotionnel qui donne une valeur obsédante à l'existence commune est la mort. »


« Chronique nietzschéenne », Œ.C., t. I, p. 489.



 Grotte des Demoiselles (Hérault)






« […] la tendance a prévalu d'identifier haut à sacré, bas à profane, et il en est résulté un tableau inintelligible. »


« La Polarité humaine », Œ.C., t. II, p. 167.











Aimé Morot, La Tentation de Saint Antoine Salon de 1881

« Il y a une malédiction dans l'érotisme, mais il est vrai que, selon l'apparence, la religion se meurt, c'est dans la mesure où elle rejette ce qui l'a créée, ou maladivement, elle vomit la malédiction. »


« Plans pour la somme athéologique », Œ.C., t. VI, p. 374.




(Inspiré par et extrait de « Georges Bataille, une liberté souveraine. Textes, Entretiens, Témoignages, Hommages, Documents. Édition établie et présentée par Michel Surya.
Ville d'Orléans / Fourbis, 1997. )








lundi 22 juillet 2019

Antonin Artaud - La respiration qui retourne à Dieu

Georges Pastier - Antonin Artaud, 1947 


La respiration qui retourne à Dieu,
la face supérieure de la bonté céleste que le mal a contaminée,
sorti du limon bas, le vol des grues célestes rentre dans ce giron de Dieu,
le système des pleurs qui s'ouvre entre les astres traverse les veines et l'irrigation pulmonaire de Dieu.
Le tourbillon rayé du bien que contaminé.
Comme un vol de cloches ou d'oiseaux le tourbillon translucide des neiges commence à irriguer l'étendue, et je suis celui qui ne reviendra plus, dit dans un cri de glace chaque flocon qui rentre dans sa veine, filon durcifié d'âmes et de pleurs,
la pluie d'âmes commence à irriguer l'étendue,
sortie du giron doux de Dieu,
voici que la pluie d'anges,
avec la tournure mouvante d'un esprit ébloui et qui cherche le grand chemin,
semblable d'un côté à un ange et de l'autre avec la face de Satan,
la cohorte éparpillée des âmes tombe en pluie, et fait renaître l'étendue qu'elle crible et qu'elle situe dans la masse dansante des atomes un par un reconnus et dénombrés jusqu'à l'infini.
La couleur bleue d'une terre invisible aux dimensions inaccoutumées s'étend en nappes de glace, comme une pluie de miroirs crucifiés,
à la minute même où le sentiment naît, la coulée du limon supérieur s'installe dans les veines de Dieu par appétit et par désir,
il s'amplifie et s'installe avec un bruit harmonieusement comprimé,
et d'un seul mouvement voici que le système, gelé, montre ses arcanes semblables aux arcades d'un pont qui relierait deux immensités.

Extraitde Antonin Artaud “Vie et mort de Satan le feu" suivis de "Textes mexicains pour un nouveau mythe”, Éditions Arcanes, Paris 1953

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