vendredi 23 août 2019

Georges Bataille - Histoire naturelle

 Edouard Manet, Le torero mort (1864-1865


« […] il est nécessaire à la vie commune de se tenir à hauteur de mort. Le lot d'un grand nombre de vies privées est la petitesse. Mais la communauté ne peut durer qu'au niveau d'intensité de la mort ; elle se décompose dès qu'elle manque à la grandeur particulière au danger. »

La Limite de l'utile, Œ.C., t. VII, p.246.

 Femme assise, néolithique myen, culture Hamangia,
Cernavoda, Roumanie







« L'homme, eût-il perdu le monde en quittant l'animalité, n'en est pas moins devenu cette conscience de l'avoir perdu, que nous sommes […] »

La Part maudite, Œ.C., t. VII, p. 127.











Chapiteau de l'église Saint-Pierre de Chauvigny

«  Je n'en parlerai pas à tout instant, mais ne pourrai la perdre de vue ; la fin même de mes énoncés reviendra à ce point de départ ; cette situation est donnée lorsqu'un animal en mange un autre.
[…]
« Il n'est rien dans la vie animale qui introduise le rapport du maître à celui qu'il commande, rien qui puisse établir d'un côté l'autonomie et de l'autre la dépendance. Les animaux, puisqu'ils se mangent les uns les autres, sont de force inégale, mais il n'y a jamais entre eux que cette différence quantitative. Le lion n'est pas le roi des animaux : il n'est dans le mouvement des eaux qu'une vague plus haute renversant les autres plus faibles. »

Théorie de la religion, Œ.C., t. VII, pp.291-292.

André Masson, Femmes damnées, vers 1922



« Sans doute l'homme archaïque ne participait pas continuellement à la violence contagieuse de l'intimité, mais s'il en était éloigné, toujours les rites gardaient à l'échéance voulue la puissance de l'y reconduire. »

Théorie de la religion, Œ.C., t. VII, p. 327.







 Indiens Munduruku.
Téte trophée momifiée (Brésil






« Ces matières où grouillent les œufs, les germes et les vers ne nous serrent pas seulement, mais nous lèvent le cœur. La mort n'est pas réduite à l'amer anéantissement de l'être – de tout ce que je suis qui attend d'être encore […] : c'est aussi ce naufrage dans le nauséeux. Je retrouverai l'abjecte nature et la purulence de la vie anonyme, infinie, qui s'étende comme la nuit, qu'est la mort. Un jour ce monde vivant pullulera dans une bouche morte. »


Histoire de l'érotisme, Œ.C., t. VIII, p. 70.


Coupe (intérieur  après restauration),
Sacrifice d'un porc  . (Vers 510 - 500 av J.C.)
Peintre d'Epidromos (début 5e siècle av J.-C.).
Paris, musée du Louvre




« Si effroyable qu'elle soit, la misère humaine n'a jamais eu une emprise suffisante sur les sociétés pour que le souci de la conservation, qui donne à la production l'apparence d'une fin, l'emporte sur celui de la dépense improductive. »

La notion de dépense, Œ.C., t. 1, p. 308.






 Theodor de Bry  (1528–1598) -
Sacrifices humains par les Aztèques






« En général, le sacrifice humain est le moment aigu d'un débat opposant à l'ordre réel et à la durée du mouvement d'une violence sans mesure. C'est la contestation la plus radicale du primat de l'utilité […] Celui qui déchaîne ses forces de destruction au-dehors ne peut être avare de ses ressources. S'il réduit l'ennemi en esclavage, il lui faut, d'une façon spectaculaire, faire de cette nouvelle richesse un usage glorieux. Il lui faut détruire en partie ces choses qui le servent, car il n'est rien d'utile près de lui qui ne doive répondre, d'abord, à l'exigence de consumation de l'ordre mythique. »


Théorie de la religion, Œ.C., t. VII p. 317.


"Blocks II à V à Auschwitz II-Birkenau" , David Olère, 1945


« Il est généralement dans le fait d'être homme un élément lourd, écœurant, qu'il est nécessaire de surmonter. Mais ce poids et cette répugnance n'ont jamais été aussi lourds que depuis Auschwitz […] comme les Pyramides ou l'Acropole, Auschwitz est le fait, est le signe de l'homme. L'image de l'homme est inséparable, désormais, d'une chambre à gaz. »


Compte rendu de « Réflexions sur la question juive ».de Jean-Paul Sartre, Œ.C., t. XI, P. 226.






Francisco  de Goya (1746 -1828),
El agarrotado


« Les bourreaux sont nos semblables. Il nous faut encore nous interroger ; n'y a-t-il rien dans notre nature qui rende tant d'horreur impossible ? Et nous devons bien nous répondre : en effet, rien. Mille obstacles en nous s'y opposent... Ce n'est pas impossible néanmoins. Notre possibilité n'est donc pas la seule douleur, elle s'étend à la rage de torturer. »


« Réflexions sur la victime et le bourreau » Œ.C., t. XI, p.266.








 Famille esclave à Bourbon, gravure de Moreau le Jeune, 1772


« Nul ne peut faire une chose de l'autre lui-même qu'est l'esclave sans s'éloigner en même temps de ce qu'il est lui-même intimement, sans se donner lui-même les limites de la chose .
[…] L'esclavage introduit dans le monde l'absence de lumière qu'est la position séparée de chaque chose, réduite à l'usage qu'elle a. »


La Part maudite, Œ.C., t. VII, pp. 61-62.







Saint Georges Hare, La victoire de la Foi, 1891

« Nous touchons la grande maladie chronique de notre temps, l'impuissance à dépasser la différence raciale. »


« La question coloniale », Œ.C., t . XI., p.462.




Auguste Rodin, La porte de l'enfer, 
1880–1917 (détail)






« Le monde des amants n'est pas moins vrai que celui de la politique. Il absorbe même la totalité de l'existence, ce que la politique ne peut pas faire. »


L'Érotisme, Œ.C., t. X.













 Francisco de Goya - Les désatres de la guerre, 1810-1820

« […] c'est assez exactement l'impossible que ses dessins tentent de représenter : les déchéances de la misère, de l'infirmité et de la vieillesse, la folie, la stupidité, la tuerie, les terribles figures de rêve, et, comme une obsession dominante, la vie traquée dans les supplices de l'Inquisition. »


« Goya », Œ.C., t. XI, p. 310.




 Georg Wilhelm Friedrich Hegel
by Julius Ludwig Sebbers






« Il semble toutefois que Hegel ne manqua de fierté (ne fut domestique) qu'en apparence. Il eut sans doute un ton de bénisseur irritant, mais sur un portrait de lui âgé, j'imagine lire l'épuisement, l'horreur d'être au fond des choses – d'être Dieu. »


L'Expérience intérieure, Œ.C.,t. V, p. 128.














 Friedrich Nietzsche (1844-1900),
tableau par Edvard Munch, 1906



« Je suis le seul à me donner, non comme un glossateur de Nietzsche, mais comme étant le même que lui. »


La Souveraineté, Œ.C., t. VIII, p. 401.









Emil Nolde, Crucifixion, 1912




« La théologie maintient le principe d'un monde achevé, de tout temps, en tous lieux, et jusque dans la nuit du Golgotha. Il suffit que Dieu soit. Il faut tuer Dieu pour apercevoir le monde dans l'infirmité de l'inachèvement. »


Le Coupable, Œ.c.,t. V, p . 262.











La vache rouge, grotte de Lascaux

« Ces traces que ces hommes ont laissées de leur humanité lointaine, qui nous parviennent après des dizaines de milliers d'années, se bornent, ou peu s'en faut, à des représentations d'animaux. Ces hommes ont rendu sensible pour nous, le fait qu'ils étaient devenus des hommes que les limites de l'animalité ne bornaient plus, mais ils l'ont rendu sensible en nous laissant l'image de l'animalité même dont ils s'évadaient. »

« Le Passage de l'animal à l'homme et la naissance de l'art », Œ.C.,t. XII, p.262.



 Félicien Rops, Le Bouge à matelots, 1875




« […] la prostitution, le vocabulaire ordurier et tous les liens de l'érotisme et de l'infamie contribuent à faire du monde de la volupté un monde de déchéance et de ruine. Nous n'avons de bonheur véritable qu'à dépenser vainement, comme si une plaie s'ouvrait en nous : nous voulons toujours être sûrs de l'inutilité, parfois du caractère ruineux de notre dépense […] Nous voulons un monde renversé, nous voulons le monde à l'envers. La vérité de l'érotisme est trahison. »


L'Érotisme, Œ;C., t. X, p. 170.












Vladimir Vélickivic, Homme fig. I, 1975-1977

« À l'unité césarienne que fonde un chef, s'oppose la communauté sans chef liée par l'image obsédante d'une tragédie. La vie exige des hommes assemblés, et les hommes ne sont assemblés que par un chef ou par une tragédie. Chercher la communauté humaine sans tête est chercher la tragédie : la mise à mort du chef elle-même est tragédie ; elle demeure exigence de tragédie. Une vérité qui changera l'aspect des choses humaines commence ici : l'élément émotionnel qui donne une valeur obsédante à l'existence commune est la mort. »


« Chronique nietzschéenne », Œ.C., t. I, p. 489.



 Grotte des Demoiselles (Hérault)






« […] la tendance a prévalu d'identifier haut à sacré, bas à profane, et il en est résulté un tableau inintelligible. »


« La Polarité humaine », Œ.C., t. II, p. 167.











Aimé Morot, La Tentation de Saint Antoine Salon de 1881

« Il y a une malédiction dans l'érotisme, mais il est vrai que, selon l'apparence, la religion se meurt, c'est dans la mesure où elle rejette ce qui l'a créée, ou maladivement, elle vomit la malédiction. »


« Plans pour la somme athéologique », Œ.C., t. VI, p. 374.




(Inspiré par et extrait de « Georges Bataille, une liberté souveraine. Textes, Entretiens, Témoignages, Hommages, Documents. Édition établie et présentée par Michel Surya.
Ville d'Orléans / Fourbis, 1997. )