Edouard Manet, Le torero mort (1864-1865 |
«
[…] il est
nécessaire à la vie commune de se tenir à hauteur de mort. Le lot
d'un grand nombre de vies privées est la petitesse. Mais la
communauté ne peut durer qu'au niveau d'intensité de la mort ;
elle se décompose dès qu'elle manque à la grandeur particulière
au danger. »
La Limite de l'utile,
Œ.C., t. VII, p.246.
Femme assise, néolithique myen, culture Hamangia, Cernavoda, Roumanie |
«
L'homme, eût-il perdu le monde en quittant l'animalité, n'en est
pas moins devenu cette conscience de l'avoir perdu, que nous sommes
[…] »
La Part maudite, Œ.C.,
t. VII, p. 127.
Chapiteau de l'église Saint-Pierre de Chauvigny |
«
Je n'en parlerai pas à tout instant, mais ne pourrai la perdre de
vue ; la fin même de mes énoncés reviendra à ce point de
départ ; cette situation
est donnée lorsqu'un animal en mange un autre.
[…]
« Il
n'est rien dans la vie animale qui introduise le rapport du maître à
celui qu'il commande, rien qui puisse établir d'un côté
l'autonomie et de l'autre la dépendance. Les animaux, puisqu'ils se
mangent les uns les autres, sont de force inégale, mais il n'y a
jamais entre eux que cette différence quantitative. Le lion n'est
pas le roi des animaux : il n'est dans le mouvement des eaux
qu'une vague plus haute renversant les autres plus faibles. »
Théorie de la religion, Œ.C.,
t. VII, pp.291-292.
André Masson, Femmes damnées, vers 1922 |
« Sans
doute l'homme archaïque ne participait pas continuellement à la
violence contagieuse de l'intimité, mais s'il en était éloigné,
toujours les rites gardaient à l'échéance voulue la puissance de
l'y reconduire. »
Théorie de la
religion, Œ.C., t. VII, p. 327.
Indiens Munduruku. Téte trophée momifiée (Brésil |
« Ces
matières où grouillent les œufs, les germes et les vers ne nous
serrent pas seulement, mais nous lèvent le cœur. La mort n'est pas
réduite à l'amer anéantissement de l'être – de tout ce que je
suis qui attend d'être encore […] :
c'est aussi ce naufrage dans le nauséeux. Je retrouverai l'abjecte
nature et la purulence de la vie anonyme, infinie, qui s'étende
comme la nuit, qu'est la mort. Un jour ce monde vivant pullulera dans
une bouche morte. »
Histoire de l'érotisme,
Œ.C., t. VIII, p. 70.
Coupe (intérieur après restauration), Sacrifice d'un porc . (Vers 510 - 500 av J.C.) Peintre d'Epidromos (début 5e siècle av J.-C.). Paris, musée du Louvre |
« Si
effroyable qu'elle soit, la misère humaine n'a jamais eu une emprise
suffisante sur les sociétés pour que le souci de la conservation,
qui donne à la production l'apparence d'une fin, l'emporte sur celui
de la dépense improductive. »
La notion de dépense,
Œ.C., t. 1, p. 308.
Theodor de Bry (1528–1598) - Sacrifices humains par les Aztèques |
« En
général, le sacrifice humain est le moment aigu d'un débat
opposant à l'ordre réel et à la durée du mouvement d'une violence
sans mesure. C'est la contestation la plus radicale du primat de
l'utilité […] Celui
qui déchaîne ses forces de destruction au-dehors ne peut être
avare de ses ressources. S'il réduit l'ennemi en esclavage, il lui
faut, d'une façon spectaculaire, faire de cette nouvelle richesse un
usage glorieux. Il lui faut détruire en partie ces choses qui le
servent, car il n'est rien d'utile près de lui qui ne doive
répondre, d'abord, à l'exigence de consumation de l'ordre
mythique. »
Théorie de la religion,
Œ.C., t. VII p. 317.
"Blocks II à V à Auschwitz II-Birkenau" , David Olère, 1945 |
« Il
est généralement dans le fait d'être homme un élément lourd,
écœurant, qu'il est nécessaire de surmonter. Mais ce poids et
cette répugnance n'ont jamais été aussi lourds que depuis
Auschwitz […] comme les Pyramides ou l'Acropole, Auschwitz est le
fait, est le signe de l'homme. L'image de l'homme est inséparable,
désormais, d'une chambre à gaz. »
Compte
rendu de « Réflexions sur la question juive ».de
Jean-Paul Sartre, Œ.C., t. XI, P. 226.
Francisco de Goya (1746 -1828), El agarrotado |
« Les
bourreaux sont nos semblables. Il nous faut encore nous interroger ;
n'y a-t-il rien dans notre nature qui rende tant d'horreur
impossible ? Et nous devons bien nous répondre : en effet,
rien. Mille obstacles en nous s'y opposent... Ce n'est pas impossible
néanmoins. Notre possibilité n'est donc pas la seule douleur, elle
s'étend à la rage de torturer. »
« Réflexions
sur la victime et le bourreau » Œ.C., t. XI, p.266.
Famille esclave à Bourbon, gravure de Moreau le Jeune, 1772 |
« Nul
ne peut faire une chose de l'autre lui-même qu'est l'esclave sans
s'éloigner en même temps de ce qu'il est lui-même intimement, sans
se donner lui-même les limites de la chose .
[…]
L'esclavage introduit dans le monde l'absence de lumière qu'est la
position séparée de chaque chose, réduite à l'usage qu'elle a. »
La
Part maudite, Œ.C., t. VII, pp. 61-62.
Saint Georges Hare, La victoire de la Foi, 1891 |
« Nous
touchons la grande maladie chronique de notre temps, l'impuissance à
dépasser la différence raciale. »
« La
question coloniale », Œ.C., t . XI., p.462.
Auguste Rodin, La porte de l'enfer, 1880–1917 (détail) |
« Le
monde des amants n'est pas moins vrai que celui de la politique. Il
absorbe même la totalité de l'existence, ce que la politique ne
peut pas faire. »
L'Érotisme,
Œ.C., t. X.
Francisco de Goya - Les désatres de la guerre, 1810-1820 |
« […]
c'est assez exactement l'impossible que ses dessins tentent
de représenter : les déchéances de la misère, de l'infirmité
et de la vieillesse, la folie, la stupidité, la tuerie, les
terribles figures de rêve, et, comme une obsession dominante, la
vie traquée dans les supplices de l'Inquisition. »
« Goya »,
Œ.C., t. XI, p. 310.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel by Julius Ludwig Sebbers |
« Il
semble toutefois que Hegel ne manqua de fierté (ne fut domestique)
qu'en apparence. Il eut sans doute un ton de bénisseur irritant,
mais sur un portrait de lui âgé, j'imagine lire l'épuisement,
l'horreur d'être au fond des choses – d'être Dieu. »
L'Expérience
intérieure, Œ.C.,t. V, p. 128.
Friedrich Nietzsche (1844-1900), tableau par Edvard Munch, 1906 |
« Je
suis le seul à me donner, non comme un glossateur de Nietzsche, mais
comme étant le même que lui. »
La
Souveraineté, Œ.C., t. VIII, p. 401.
Emil Nolde, Crucifixion, 1912 |
« La
théologie maintient le principe d'un monde achevé, de tout temps,
en tous lieux, et jusque dans la nuit du Golgotha. Il suffit que Dieu
soit. Il faut tuer Dieu pour apercevoir le monde dans l'infirmité de
l'inachèvement. »
Le
Coupable, Œ.c.,t. V, p . 262.
La vache rouge, grotte de Lascaux |
« Ces
traces que ces hommes ont laissées de leur humanité lointaine, qui
nous parviennent après des dizaines de milliers d'années, se
bornent, ou peu s'en faut, à des représentations d'animaux. Ces
hommes ont rendu sensible pour nous, le fait qu'ils étaient devenus
des hommes que les limites de l'animalité ne bornaient plus, mais
ils l'ont rendu sensible en nous laissant l'image de l'animalité
même dont ils s'évadaient. »
« Le
Passage de l'animal à l'homme et la naissance de l'art »,
Œ.C.,t. XII, p.262.
Félicien Rops, Le Bouge à matelots, 1875 |
« […]
la prostitution, le vocabulaire ordurier et tous les liens de
l'érotisme et de l'infamie contribuent à faire du monde de la
volupté un monde de déchéance et de ruine. Nous n'avons de bonheur
véritable qu'à dépenser vainement, comme si une plaie s'ouvrait en
nous : nous voulons toujours être sûrs de l'inutilité,
parfois du caractère ruineux de notre dépense
[…] Nous voulons un monde renversé, nous voulons le
monde à l'envers. La vérité de l'érotisme est trahison. »
L'Érotisme,
Œ;C., t. X, p. 170.
Vladimir Vélickivic, Homme fig. I, 1975-1977 |
« À
l'unité césarienne que fonde un chef, s'oppose la communauté sans
chef liée par l'image obsédante d'une tragédie. La vie exige des
hommes assemblés, et les hommes ne sont assemblés que par un chef
ou par une tragédie. Chercher la communauté humaine sans tête est
chercher la tragédie : la mise à mort du chef elle-même est
tragédie ; elle demeure exigence de tragédie. Une vérité qui
changera l'aspect des choses humaines commence ici : l'élément
émotionnel qui donne une valeur obsédante à l'existence commune
est la mort. »
« Chronique
nietzschéenne », Œ.C., t. I, p. 489.
Grotte des Demoiselles (Hérault) |
« […]
la tendance a prévalu d'identifier haut à sacré, bas à
profane, et il en est résulté un tableau inintelligible. »
« La
Polarité humaine », Œ.C., t. II, p. 167.
Aimé Morot, La Tentation de Saint Antoine Salon de 1881 |
« Il
y a une malédiction dans l'érotisme, mais il est vrai que, selon
l'apparence, la religion se meurt, c'est dans la mesure où elle
rejette ce qui l'a créée, ou maladivement, elle vomit la
malédiction. »
« Plans
pour la somme athéologique », Œ.C., t. VI, p. 374.
(Inspiré par et extrait de « Georges Bataille,
une liberté souveraine. Textes, Entretiens, Témoignages, Hommages,
Documents. Édition établie et présentée par Michel Surya.
Ville d'Orléans / Fourbis, 1997. )