Les Chants de Maldoror, 1938, Oscar Dominguez |
Vieil
Océan, ô grand célibataire, quand tu parcours la solitude
solennelle de tes royaumes flegmatiques, tu t’enorgueillis à juste
titre de ta magnificence native, et des éloges vrais que je
m’empresse de te donner. Balancé voluptueusement par les molles
effluves de ta lenteur majestueuse, qui est le plus grandiose parmi
les attributs dont le souverain pouvoir t’a gratifié, tu déroules,
au milieu d’un sombre mystère, sur toute ta surface sublime, tes
vagues incomparables, avec le sentiment calme de ta puissance
éternelle. Elles se suivent parallèlement, séparées par de courts
intervalles. À peine l’une diminue, qu’une autre va à sa
rencontre en grandissant, accompagnées du bruit mélancolique de
l’écume qui se fond, pour nous avertir que tout est écume (Ainsi
les êtres humains, ces vagues vivantes, meurent l’un après
l’autre d’une manière monotone, mais sans laisser de bruit
écumeux.) […] Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de
mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te
saluer et te faire mes adieux ! Vieil Océan, aux vagues de
cristal… Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n’ai
pas la force de poursuivre, car je sens que le moment est venu de
revenir parmi les hommes, à l’aspect brutal ; mais…
courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons avec le
sentiment du devoir notre destinée sur cette terre. Je te salue,
vieil Océan !
(Extrait de Lautréamont, Les chants de Maldoror, 1869, chant 1, strophe 9)