Hans Bellmer, étude pour Histoire de l'œil, vers 1946, dessin au crayon sur papier |
[…]
Un peu après (ayant retrouvé nos bicyclettes), nous pouvions nous offrir l’un à l’autre le spectacle irritant, théoriquement sale, d’un corps nu et chaussé sur la machine. Nous pédalions rapidement, sans rire ni parler, dans l’isolement commun de l’impudeur, de la fatigue, de l’absurdité.
Nous étions morts de fatigue. Au milieu d’une côte Simone s’arrêta, prise de frissons. Nous ruisselions de sueur, et Simone grelottait, claquant des dents. Je lui ôtai alors un bas pour essuyer son corps : il avait une odeur chaude, celle des lits de malade et des lits de débauche. Peu à peu elle revint à un état moins pénible et m’offrit ses lèvres en manière de reconnaissance.
Je gardais les plus grandes inquiétudes. Nous étions encore à dix kilomètres de X… et, dans l’état où nous nous trouvions, il nous fallait à tout prix arriver avant l’aube. Je tenais mal debout, désespérant de voir la fin de cette randonnée dans l’impossible. Le temps depuis lequel nous avions quitté le monde réel, composé de personnes habillées, était si loin qu’il semblait hors de portée. Cette hallucination personnelle se développait cette fois avec la même absence de borne que le cauchemar global de la société humaine, par exemple, avec terre, atmosphère et ciel.
La selle de cuir se collait à nu au cul de Simone qui fatalement se branlait en tournant les jambes. Le pneu arrière disparaissait à mes yeux dans la fente du derrière nu de la cycliste. Le mouvement de rapide rotation de la roue était d’ailleurs assimilable à ma soif, à cette érection qui déjà m’engageait dans l’abîme du cul collé à la selle. Le vent était un peu tombé, une partie du ciel s’étoilait ; il me vint à l’idée que la mort étant la seule issue de mon érection, Simone et moi tués, à l’univers de notre vision personnelle se substitueraient les étoiles pures, réalisant à froid ce qui me paraît le terme de mes débauches, une incandescence géométrique (coïncidence, entre autres, de la vie et de la mort, de l’être et du néant) et parfaitement fulgurante.
Lord Auch (Georges Bataille) Histoire de l'œil, gravure à l'eau-forte et au burin de Hans Bellmer. Séville. 1940 |
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Georges Bataille - “Histoire de l'œil”
Georges Bataille, Histoire de l'œil (1928) Dessin de Hans Bellmer |
Hans Bellmer, dessin pour la gravure d'Histoire de l'œil de Georges Bataille - 1946 |
Hans Bellmer - S.T. étude pour Histoire de l'œil, Ile de Ré, 04 Août 1961 |
« …
A la fin, Simone me quitta, prit l'œil des mains de Sir Edmond et
l'introduisit dans sa chair. Elle m'attira à ce moment, embrassa
l'intérieur de ma bouche avec tant de feu que l'orgasme me vint :
je crachai mon foutre dans sa fourrure.
Me
levant, j'écartai les cuisses de Simone : elle gisait étendue
sur le côté ; je me trouvai alors en face de ce que –
j'imagine – j'attendais depuis longtemps – comme une guillotine
attend la tête à trancher. Mes yeux, me semblait-il, étaient
érectiles à force d'horreur ; je vis, dans la vulve velue de
Simone, l'œil bleu pâle de Marcelle me regarder en pleurant des
larmes d'urine. Des traînées de foutre dans le poil fumant
achevaient de donner à cette vision un caractère de tristesse
douloureuse. Je maintenais les cuisses de Simone ouvertes :
l'urine brûlante ruisselait sous l'œil sur la cuisse la plus
basse... »
Hans Bellmer(1902-1975) Histoire de l'œil. Gravure rehaussée à la mine de plomb |
Hans BELLMER (1902-1975) Histoire de l'œil. Gravure rehaussée à la mine de plomb |
Hans Bellmer, étude pour Histoire de l'œill, vers 1946, dessin au crayon et rehauts de gouache sur papier |
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