Arthur Adamov 1947. Photo de Denise Colomb |
On ne peut rendre que ce dont on a pris possession.
Pris, c'est à dire touché, goûté, senti, vu.
L'essentiel est de voir. Voir non pas les choses mais à travers elles.
De sa naissance à sa mort, au long des jours, l'homme ne voit presque rien. Les paupières entr'ouvertes sur le monde extérieur, il classe immédiatement ce qu'il voit dans des catégories toutes faites comme pour s'excuser de voir si mal et s'en débarrasser. Il dit : ceci est une chaise, ceci est un chien. Ainsi il se dispense de voir.
Il s'agit de voir, de fixer un objet jusqu'à ce qu'il abandonne son sens usuel, que ses apparences s'évanouissent. Alors toute pensée s'arrête, figée, stupide, devant l'insolation de la vision, le soleil torride de la stupeur...
Qui n'a été frappé de stupeur au cours d'une nuit, où il ne reconnaît plus rien d'un paysage pourtant familier.
Une avenue au bord de la mer, de grandes bâtisses modernes anonymes et correctes, stores jaunes et pierres blanches, et soudain, c'est une nuit sans lune, une de ces grandes nuits illustres où les étoiles apparaissent et disparaissent entre les nuages, et de l'œuvre sordide créée de la main des hommes, il ne reste plus le moindre souvenir. A sa place, surgissent les constructions de l'impalpable, rectangles fluides et mystérieux posés là dans la nuit à des fins incompréhensibles.
Tout peut devenir aussi méconnaissable que la face d'un lieu transfiguré par la nuit. Pour l'homme que vient hanter l'ombre de l'inconnu, chaque objet est un creux révélant le mystère de l'intérieur obscur de lui-même.
( Extrait de Arthur Adamov « L'aveu », Éditions du Sagittaire, 1946.)
LA PAGE DE FRANCE CULTURE CONSACRÉE A ARTHUR ADAMOV
Portrait d'Arthur Adamov par Antonin Artaud, circa 17 juin 1947. Crayon et craie rouge. |
Jacques Prevel écrit dans son journal (op. cit. p. 145), à la date
du 17 juin 1947, que le portrait d'Adamov, commencé il y a longtemps, a été achevé.
L'inscription qui se lit en bas du dessin est à la craie rouge :
Arthur Adamov / auteur / de l'aveu : livre unique: dans / l'histoire /
des "lettres".
(Extrait de "ARTAUD dessins et portraits" Paule Thévenin, Jacques Derrida,
Éditions Gallimard, 1986)
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