Félix Labisse |
Chronique
Le ventre gros de printemps
c'est une femme qui naît
Sous le poids du soleil vert
Les nuages disparaissent
Dans leur eau pure les bêtes
Fendent les herbes du ciel
La femme à levé la tête
Et ses songes la dévoilent
Le chemin de son sourire
Passe par ses seins d'oiseau
Que guettent les bêtes tendres.
L'abc de la récitante
Je compte sur mes
yeux un et deux dira-t-elle
Pour voir ce que
doit voir l'affalée que je suis
Couchée et nue et
chaude au pied du haut miroir
Et mouillée comme
un nouveau-né je me pourlèche
Je compte sur mes
doigts un deux trois dira-t-elle
La multiplication
de mes soupirs profonds
Le sac de mes
désirs s'entrouvre sur le lit
et j'ai le plein
soleil dedans avec mon rouge
Je compte sur mon
sexe et mes fesses pour tendre
Un piège au plus
prudent et à la plus prudente
J'ai du goût pour
chacun mais je me tiens en moi
Tapie comme
l'alcool dans la main d'un ivrogne
Mes aspects sont
variés j'ai du poil j'ai des plumes
et l'écorce d'un
arbre augmente ma peau brune
J'ai de la terre
au creux de ma main et je me love
comme un fleuve
sans eau où les baigneurs se noient
Mes talent sont
nombreux je sais singer la bête
Et m'alléger
d'aurore tout comme une alouette
Je sais faire
pleurer les plus indifférents
Et rire bêtement
ceux qui se croient malins
J'ai des griffes
des crocs j'ai des lèvres d'écaille
Et des lèvres de
soie et de miel et de glu
Pour enrober
l'azur et sa salive fade
Ma langue sur les
bords de la chair se dévoue
Je caresse mes
fruits débordants de science
Qui donc pourrait
régner hors de mon cœur total
Je sais tout et
j'apprends à oublier je tresse
Une énorme
couronne à mon ventre à mon sang.
Félix Labisse - La visiteuse - 1944 - |
( Extrait de Paul Eluard "Voir" Editions "Trois Collines" 1948 )
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