vendredi 2 avril 2010

GRENOUILLE SANS BÉNITIER

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   En ces dictons obscures, Rabelais nous dit que les « grenoilles en leur premiere generation sont dictes gyrins et ne sont qu’une chair petite, noire, avecques deux grans oeilz et une queue », c’est la description du têtard. Mais Rabelais ajoute plaisamment : « Dont estoient dictz les sotz : Gyrins », selon Platon, Pline ou Aristophane.
Mais la grenouille, féminisation du crapaud, est moins aujourd’hui symbole de bêtise que de babil et de bavardage inconsidéré.
   Dans l’Antiquité, la grenouille était « une plaie » : comme la sauterelle, elle faisait partie de cette faune incertaine, mi-normale, mi-monstrueuse, représentant les vestiges du chaos primordial où les animaux hésitaient encore entre l’eau et la terre, entre le monde aquatique et le ciel. Au Moyen Age et jusque chez Victor Hugo, la grenouille reste associée à l’univers des crapauds, des lézards, des serpents même. Bête des marécages, sortant de son obscur habitat à la nuit tombée pour honorer la nuit ou la lune de son coassement inhumain et pourtant mélodique, elle est bénéfique et maléfique. Ambivalence que l’on retrouve dans de nombreuses légendes. Le batracien est cependant un animal lunaire avant tout. Il subit des métamorphoses. Du têtard, le gyrin de Rabelais, à sa nature adulte, accroupie, expectative, capable de s’enfler au point d’éclater. Et cet enflement est encore une métamorphose. G. Durand souligne que « la grenouille, comme le lièvre, habite et hante la lune et joue le rôle d’avaleuse diluviale associée à la pluie et à la fécondité ».
   Animal lunaire associé à la pluie, la grenouille devient baromètre, montant et descendant son échelle pour prédire aux hommes le temps qu’il fera. Symboliquement elle vire du rose au bleu selon les normes modernes de l’information divinatoire. En réalité, la grenouille est verte : c’est un symbole de résurrection et d’espérance. Selon Maspéro, les premiers chrétiens figuraient la Résurrection pascale sous l’emblème d’une grenouille placée au centre d’un lotus. Les Egyptiens en avait fait l’hiéroglyphe du renouvellement en raison, encore, de ses métamorphoses, et le symbole de la curiosité.
   On remarquera sur le célèbre tableau de Jérôme Bosch, l’escamoteur, qui met en dérision cette curiosité mauvaise conseillère, une grenouille sur la table du bateleur. Fraenger nous rappelle (op. cit. p. 253 et 262) que la grenouille était l’idole de la secte hérétique des Ebionites et « symbole gnostique traditionnel de l’androgynie comme de la résurrection et de l’immortalité ».  Cette grenouille gnostique apparaît ailleurs dans plusieurs tableaux de Bosch en particulier dans la Tentation de Lisbonne où elle incarne, toujours selon Fraenger, l’aberration hérétique, la tentation et la perversion satanique.
L’église la retrouve dans ses bénitiers. Avant que l’on désigne par l’expression « grenouille de bénitier » une bigote qui frise l’hérésie en exagérant sa religiosité, il était convenu de sculpter au fond des bénitiers un crapaud ou une grenouille qui figurait le démon ainsi exorcisé sous deux doigts d’eau bénite.
   On consultera si l’on peut, l’Histoire des grenouilles de A.J. Roesel (1758) dont les planches admirables mêlent la fiction et l’exactitude scientifique.


(Tiré du « Bestiaire Fabuleux » de Jean-Paul Clébert,
Editions Albin Michel 1971)

1 commentaire:

  1. Petite grenouillette qui suggèrera toujours un monde différent à chacun.
    Celle-ci est tellement jolie qu'elle sera celle de nos contes enfantins ! Enfin, pour moi !
    Belle photo!

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