Depuis
longtemps, depuis qu’il y a les arbres,
et même
avant,
Depuis qu’il
y a le silence,
J’avais
envie de dire quelque chose, de le rompre
comme du
pain, le silence,
D’être
porte-parole porté par la parole,
De chanter
sans connaître la chanson,
de crier sur
les toits sans prêter attention à l’écho,
De rire dans
les coquillages, de pleurer
dans le
gilet des maisons,
Mais il
m’est arrivé d’écrire-
Depuis
longtemps aussi j’avais envie de voir,
et j’allumais
les lampes,
Envie de
prendre en flagrant délit
les chambres
tapissées de portes,
Le moindre
bouton sur le visage du miroir,
Au supplice
du soleil les gens qui marchent
comme les
acteurs,
Et le
paysage qui s’est couché, qui dort,
qui s’étire
si loin,
Je regardais
comme un détective et découvrais
les crimes,
les taches, les empreintes, la victime
incestueusement
mêlée au coupable,
Tout avait
gueule d’aveu, je marchais
parmi
l’évidence en serrant contre moi le secret,
Ne le
perdais jamais,
Parmi un
grand magasin de choses
exposées à
l’habitude,
Et
chapardais de quoi vivre, de quoi le nourrir,
le secret,
Mais il
m’est arrivé de fermer les yeux-
De regarder
la clef par la serrure,
De voir les
fleurs de gel qui poussent sur les volets,
les flammes
qui décorent les tapis,
D’ouvrir les
volets, de soulever le toit lourd de notions,
De suivre,
tout en les dessinant, les traînées des fêtes
qui n’ont
pas lieu,
Les
débauches légères, fragiles, où tout joue à jurer,
De perdre le
fil, d’avancer alors dans les mirages
qui arrêtent
le désert,
Parmi les
souks où serpentent les aguichantes
marchandes
d’incroyable,
De faire
œillade à ce qui n’a ni lieu ni temps,
D’aller
ainsi à vau l’eau sous mes propres paupières,
Mais il
m’est arrivé de te regarder-
Depuis
longtemps, j’en avais envie,
De garder ce
qui est autour avec ce qui est dedans,
De trouver
dans le fruit qui est là le goût du fruit
que je
cherche ici,
D’avancer
dans l’ombre même la dague sans garde
du
regard,
De caresser
les angles du soleil,
De faire ce
que j’imagine, d’imaginer ce que je fais,
mon amie,
De brûler à
la flammèche de la bougie le grand livre
où sont
comptées les grandes choses, et les petites,
Toi, tu les
laissais faire, elles s’embrassaient avec nous,
Les chambres
donnaient sur les souks, tes yeux
donnaient
sur les miens,
Les maisons
enlevaient leurs toits pour saluer les gens
qui
marchent,
Les animaux
se répandaient parmi les herbes,
à pas de
louve saoule,
Les elfes
lutinaient les gnomes, les arbres dormaient
debout dans
la mousse,
Dans la cour
de récréation le moindre mot
faisait
boule de neige,
Il n’y avait
plus de buvard sur les pupitres,
plus de
pupitres,
Il y avait
dans le ciel le brouillon des nuages,
le ciel,
L’orage
caressait les chardons, les rivières
trouvaient
de l’or,
Le temps se
reposait sous l’oreiller, le secret
se regardait
dans le miroir,
Mais il
m’est arrivé de ne plus te voir-
Et de garder
les yeux ouverts
sur les
grandes choses fermées, et les petites,
Et de crier
sur les toits pour que l’écho
rompe le
silence,
Et d’avoir
envie-
(Extrait de
« Traces »
Editions
« Jacques Antoine passé présent »
1980)
Une plongée-découverte dans l'art de l'écriture et de la poésie: les "logogrammes" de Dotremont...Une merveille de création. Fascinant !
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