« Colette Thomas, la première femme
de Henri Thomas. Comédienne, elle
répétait, comme on le verra, avec
Antonin Artaud. Elle a laissé sous
le pseudonyme de René, un livre,
Le Testament de la fille morte,
paru aux éditions Gallimard en 1954.
Ce livre se compose de cinq parties :
« Le débat du cœur », « Fragments et
inversions », « Du véridique Théâtre, »,
« Crimes et contes », « Derniers efforts
avant que je meure » ; il laisse loin
derrière lui la plupart des œuvres
auxquelles on a fait un succès depuis
vingt ans. »
Bernard Noël
(En compagnie d’Antonin Artaud,
journal de Jacques Prevel,
Flammarion 1974.)
Le Testament de la Fille Morte
(…)
Hier matin j’éprouvais
une impression assez forte de
puissance et de beauté.
J’étais allongée sur
une avancée de terrain rocheux, à
peu près nue, pour que le soleil me traverse un peu. Il n’était
pas loin de midi. Je m’amusais à enfoncer mes ongles dans
les tiges triangulaires et charnues de plantes qui traînent
sur le sol comme du lierre et qu’on appelle pattes de
sorcières – ici.
Je regardais le ciel
vif et blanc – et je tournais la tête
vers la gauche – là-bas le ciel étais gris – presque noir –
les collines bleues et la mer presque noire aussi. Je
pensais
que l’orage allait venir. Puis je voyais mon corps blanc –
la
terre jaune et le ciel toujours blanc et rayonnant au-dessus
de ma tête – et je considérais cet orage menaçant comme
un évènement d’un autre monde.
J’entendis alors le
roulement du tonnerre. Il se répercutait
sur les collines que je voyais à distance et qui se
perdaient
en arrière de mon dos – et venait s’éteindre dans le ciel du
nuage qui touchait presque le soleil au-dessus de ma tête,
comme une vague qui s’en retourne.
Presque aussitôt, je
vis une merveilleuse lumière – la
lumière même brandie par je ne sais quelle main – zébrer
le côté gauche du ciel noir.
Elle était jaune et
précise comme une fabrication mécanique
et préméditée de quelque homme.
Je pensais alors :
« Je suis du côté des dieux ». Je considérais
l’orage comme une grande pièce de machinerie que j’aurais
pu manœuvrer moi-même. Cette impression m’était donnée
par le fait que mon corps même ne subissait pas l’orage mais
au contraire baignait dans la lumière et que j’avais emporté
avec moi ce pique-feu qu’Antonin Artaud m’a donné et qui
est comme un éclair solidifié – et que je peux tenir dans ma
seule main.
Mais je ne voulais
pas user inutilement de mon pouvoir
et rentrai chez moi afin de ne pas être mouillée.
La
Nartelle, 23 août 1947.
Et ce matin l’impression
de mort.
Un brusque
anéantissement dans la mer – j’ai sombré –
sans le vouloir. Je suis revenue à moi et aussitôt regagné
le rivage avec la sensation que toute la nature n’était qu’une
immense pieuvre – prête à m’engloutir.
(…)
Non.
Je me suis réveillée
en même temps que ce rêve : je suis
couchée endormie – mes cheveux sont beaux et admirablement
peignés. J’ouvre les yeux je remarque un peigne posé à côté
de
ma tête – il est très sale – et presque en même temps sur
les draps
je vois une tache de sang ramifiée comme une algue séchée
dans
un album – le peigne et le tache me fascinent. Pourtant un
homme
galant et amoureux me baise la main – ma chevelure scintille
-.
trop tard la réalité m’avait prise – je me lève dans le
monde où
les peignes sont sales et les draps tachés.
Mais NON !
Voici que je m’éveille réellement – que je me lève
REELLEMENT et que je marche !
Voir aussi : René Le testament de la fille morte
Antonin Artaud - Portrait de Colette Thomas |
Denise Colomb, Portrait de Colette Thomas, Octobre 1947 |
Denise Colomb, Portrait de Colette Thomas, Octobre 1947 |
Je ne connaissais le rapport d'Artaud avec Colette Thomas que dans le film avec Sami Frey, je ne connaissais pas les écrits de Colette. Merci pour la découverte
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