lundi 18 octobre 2010

SEE YOU SOON...


Colette Thomas « L’odeur de la nature »


Cette femme sursauta. Que se passait-il ? Elle était pourtant enfouie au centre même de la souffrance. Vraisemblablement rien de plus réel n’existe en ce monde. Quelle puissance osait se risquer dans cet endroit hors elle-même ? Par quel énorme poids était-elle ébranlée ?
Tout à coup ses membres se raidirent. Elle ferma les yeux. Quelqu’un était là. Quand elle les rouvrit son atroce angoisse avait grandi mais elle savait. La sueur lui vint au corps cependant lorsqu’elle vit à ses pieds aux angles du lit – deux cierges. A la place du bois de lit le drap mortuaire. Elle n’eut pas  besoin de se retourner pour savoir que les deux autres cierges brûlaient à sa tête. « Ainsi donc voilà ma mort, pensa-t-elle, pas une mort quelconque ou celle dont tout le monde parle et qui n’a jamais existé. Ou celle qui a existé pour un tel ou un tel bien précisément et donc que nous n’avons pas touchée. Mais la mienne. Uniquement à moi et nécessairement. La mienne propre. Ma substance transformée en mort. Ma substance en catafalque, en cierge, en angoisse, en frayeur mortelle. Moi-même ce souffle glacial en arrière de ma tête et ce squelette aussi épais que la pourriture. La faux du temps, pensait-elle encore. Ainsi la voilà. »
Alors elle eut une faiblesse. Elle entendit une voix  souffler : « Ta mort te prend si tu ne quittes immédiatement ce cercueil, si tu ne franchis tout cet appareil mortuaire pour prier à la propre mort. Agenouille-toi à côté du catafalque, va chercher ta nourrice et priez, prie pour la morte que tu devrais être et qui n’existera pas grâce à ta foi. »
La malheureuse se leva, alla chercher sa nourrice et elles s’agenouillèrent à côté du lit pour prier.
Depuis cette femme vécut mais elle portait une honte.
Plus tard elle comprit qu’il ne s’agissait pas seulement de souffrir mais aussi de mourir et de vaincre, et qu’elle n’était pas morte mais qu’elle avait eu peur.
Un soir, elle entra dans un cercueil et le sourire ne la quitta pas un seul instant, de sa main elle palpait les planches de sa boîte. Elle ne s’étonna pas lorsqu’elle sentit les planches coller plus étroitement à ses jambes, la sève de l’arbre couler dans le bois, l’écorce se craqueler, la mousse apparaître.
Cette femme-là porte sur elle l’odeur de la nature.

(Conte extrait de la revue  « Obliques » 1977)




Shuji Terayama "Les gens de la famille Chien Dieu"







jeudi 14 octobre 2010

Texte extrait de « L’Ombilic des Limbes » d’Antonin Artaud (1925)

Un ventre fin. Un ventre de poudre ténue et comme en image. Au pied du ventre, une grenade éclatée.
La grenade déploie  une circulation floconneuse qui monte comme des langues de feu, un feu froid.
La circulation prend le ventre et le retourne. Mais le ventre ne tourne pas.
Ce sont des veines de sang vineux, de sang mêlé de safran et de soufre, mais d’un sang édulcoré d’eau.
Au-dessus du ventre sont visibles des seins. Et plus haut, et en profondeur, mais sur un autre plan de l’esprit, un soleil brûle, mais de telle sorte que l’on pense que ce soit le sein qui brûle. Et au pied de la grenade, un oiseau.
Le soleil a comme un regard. Mais un regard qui regarderait le soleil. Le regard est un cône qui se renverse sur le soleil. Et tout l’air est comme une musique figée, mais une vaste, profonde musique, bien maçonnée et secrète, et pleine de ramifications congelées.
Et tout cela, maçonné de colonnes, et d’une espèce de lavis d’architecte qui rejoint le ventre avec la réalité.
La toile est creuse et stratifiée. La peinture est bien enfermée dans la toile. Elle est comme un cercle fermé, une sorte d’abîme qui tourne, et se dédouble par le milieu. Elle est comme un esprit qui se voit et se creuse, elle est remalaxée et travaillée sans cesse par les mains crispées de l’esprit. Or, l’esprit sème son phosphore.
L’esprit est sûr. Il a bien un pied dans le monde. La grenade, le ventre, les seins, sont comme des preuves attestatoires de la réalité. Il y a un oiseau mort, il y a des frondaisons de colonnes. L’air est plein de coups de crayon, des coups de crayons comme des coups de couteau, comme des stries d’ongle magique. L’air est suffisamment retourné.
Et voici qu’il se dispose en cellules où pousse une graine d’irréalité. Les cellules se casent chacune à sa place, en éventail,
autour du ventre, en avant du soleil, au-delà de l’oiseau, et autour de cette circulation d’eau soufrée.
Mais l’architecture est indifférente aux cellules, elle sustente et ne parle pas.
Chaque cellule porte un œuf où reluit quel germe ? Dans chaque cellule un œuf est né tout à coup. Il y a dans chacune un fourmillement inhumain mais limpide, les stratifications d’un univers arrêté.
Chaque cellule porte bien son œuf et nous le propose ; mais il importe peu à l’œuf d’être choisi ou repoussé. Toutes  les cellules ne portent pas d’œuf. Dans quelques-unes naît une spire. Et dans l’air une spire plus grosse pend, mais comme soufrée déjà ou encore de phosphore et enveloppée d’irréalité. Et cette spire a toute l’importance de la plus puissante pensée.
Le ventre évoque la chirurgie et la Morgue, le chantier, la place  publique et la table d’opération. Le corps du ventre semble fait de granit, ou de marbre, ou de plâtre durcifié.
Il y a une case pour une montagne. L’écume du ciel fait à la montagne un cerne translucide et frais. L’air autour de la montagne est sonore, pieux, légendaire, interdit. La montagne a bien sa place dans l’âme. Elle est l’horizon d’un quelque chose qui recule sans cesse. Elle donne la sensation de l’horizon éternel.
Et moi j’ai décrit cette peinture avec des larmes, car cette peinture me touche au cœur. J’y sens ma pensée se déployer comme dans un espace idéal, absolu, mais un espace qui aurait une forme introductible dans la réalité. J’y tombe du ciel.
Et chacune de mes fibres s’entr’ouvre et trouve sa place dans des cases déterminées. J’y remonte comme à ma source, j’y sens la place et la disposition de mon esprit. Celui qui a peint ce tableau est le plus grand peintre du monde. A André Masson, ce qui lui revient.

                                      (Le tableau d’André Masson décrit dans ce texte est « Homme ». Le peintre a indiqué qu’à l’époque Antonin Artaud, malgré la modicité de ses ressources, avait tenu à le lui acheter.)


 


lundi 11 octobre 2010

"El lado oscuro del corazón", Eliseo Subiela


Oficio de poeta
Fragmento de El Lado Oscuro del Corazón, película de Eliseo Subiela. Argentina 1992.



Comunión plenaria (Oliverio Girondo) -


Los nervios se me adhieren

al barro, a las paredes,

abrazan los ramajes,

penetran en la tierra,

se esparcen por el aire,

hasta alcanzar el cielo.

E1 mármol, los caballos

tienen mis propias venas.

Cualquier dolor lastima

mi carne, mi esqueleto.

¡Las veces que me he muerto

al ver matar un toro!..

Si diviso una nube

debo emprender el vuelo.

Si una mujer se acuesta yo me acuesto con ella.

Cuántas veces me he dicho:

¿Seré yo esa piedra?












"No se me importa un pito que las mujeres tengan los senos como magnolias o como pasas de higo; un cutis de durazno o de papel de lija. Le doy una importancia igual a cero, al hecho de que amanezcan con un aliento afrodisíaco o con un aliento insecticida. Soy perfectamente capaz de soportarles una nariz que sacaría el primer premio en una exposición de zanahorias; ¡pero eso sí! y en esto soy irreductible no les perdono, bajo ningún pretexto, que no sepan volar. ¡Si no saben volar pierden el tiempo las que pretendan seducirme!



Textos, Mario Benedetti, Oliverio Girondo y Juan Gelman.

mardi 5 octobre 2010

Shuji Terayama - Grass labyrinth - 1979 -



Fasciné par sa mère disparue, Akira essaie de retrouver les paroles d'une comptine qui évoque pour lui le bonheur d'une période heureuse et insouciante. La recherche de celles-ci le mènera aux saveurs de la chair...


Librement adapté de la nouvelle éponyme de Izumi Kyoka



samedi 2 octobre 2010

Il était un roi de Thulé...


Extrait de "En compagnie d'Antonin Artaud" (1993),
un film de Gérard Mordillat.
Avec ici : Sami Frey et Charlotte Valandrey