jeudi 27 mars 2014

Maurice Fourré – Ombres et corbeaux chanteurs

Voici les fantômes légendaires, les revenants hallucinants et les farfadets thuriféraires, toute une communauté aux lunettes de phosphore, qui colporte, avec des futilités libertines, des lambeaux de lingeries livides, et le vieil angélus de naissance ou d'agonie, avec un collier chantant de perles cristallines accompagnant la danse médiévale des Innommables.
      De longues mains liturgiques se désincarnent pour offrir d'immortelles   roses et le baiser de paix des lèvres sans couleur, sur le tapis de cendre où l'armure, vidée du chevalier de fer, s'entoure d'une dalmatique écarlate que brode un invisible acier, devant le trône du cadavérique empereur, répudiant le sceptre du désespoir lunaire.

             Gaminerie sautante de l'heure.
             Caracolade mortuaire.
                        Yeux de verre
                                        Hennissements de la Nuit  
                        Tintez
                                  minéraux
                                         accompagnateurs                    
           et
           métaux
                                          harmoniques
           Offrez
                     vos échos
                                      vides
                     pipeaux
                     des structures 
                                      osseuses
                    de l'ombre
                    qui danse
                    et
                    qui chante
             - Nous avons sept ans ce soir...
             - Messieurs les Défunts vont nous conduire aux chevaux de bois...             
              - On fera la ronde des ossuaires...
              - Pour le carnaval des truands.
              - Des prélats.
              - Des sorcières.
              - Des belles d'amour et du roi.
              - On enfourchera les jambes de bois des culs-de-jatte.
              - On jouera au moulin à vent dans l'aire du sépulcre avec les béquilles de  
l'ex-voto...
              - Nous sommes les Rêveurs , que l'on va pendre à la balancelle des corbeaux en fleurs...


(Extrait de Maurice Fourré « Tête de Nègre", roman, 1960)
(Collages : Cerkita Zünd)



dimanche 16 mars 2014

Voyage en Haut-Languedoc (II)

Près du Lac de Vesoles (Hérault)

Lac de Vesoles  (Hérault)

Lac de Vesoles  (Hérault)

Lac de Vesoles  (Hérault)

Lac de Vesoles  (Hérault)

Lac de Vesoles  (Hérault)

Forêt du Somail  (Tarn)

Hêtre (Tarn)

Ancien four à pain (Tarn)

Esprit des lieux (Tarn)


Crépuscule (Tarn)

mardi 4 mars 2014

Antonin Artaud – Le Mexique et l'esprit primitif : Maria Izquierdo

María Izquierdo retratada por Manuel Álvarez Bravo, 1932

  Si c'est avec les objets qu'on connaît le Sensible, c'est avec le rêve qu'on connaît les objets. A l'état éveillé, tout ce qui existe est mort ; et les objets ne découvrent pas leur figure. Il faut qu'on dorme pour qu'ils se mettent à parler. S'il y eut un temps où les choses parlaient sans qu'on les sollicite, il faut être un homme de l'époque actuelle pour croire que ce temps appartient au passé.
On dit que l'esprit primitif est celui qui ne peut pas voir ce qui est, parce que rien en réalité n'existe, mais qui, par le pinceau ou la plume, reproduit ce qu'il suppose ; et ce qu'il suppose est toujours à la mesure de son imagination illimitée. Or l'imagination est liée à la connaissance, et la connaissance à l'Unité. Les grandes imaginations ne sont pas celles qui font affluer le Sensible sous la multiplicité de ses aspects, mais celles qui, au milieu du Sensible, se meuvent avec cette espèce de vertu alchimique qui appartient à l'état de sommeil.
Pour qui sait en utiliser les figures et l'étrange fonctionnement, le sommeil nous ramène au temps où il fallait que les choses parlent, parce que la conscience éveillée de l'homme était comme un animal muselé.
Le primitif ne se sentant pas distinct de ce qui est, ne peut pas croire que quelque chose vive en dehors de lui-même, et il n'a pas le sentiment de la propriété ; et à leur tour, les choses qui sont ne peuvent pas avoir de propriétés qui réellement leur appartiennent, puisqu'elles participent à tout ce qui est ; c'est ainsi que le sentiment de l'altruisme éternel des choses nous ramène dans une sorte de transmutation alchimique jusqu'au sentiment de l'unité.
Mais qui dit unité dit connaissance, puisque « connaître » c'est « resurgir avec » ; et dans le sommeil, les figures des objets qui bougent ont, avec leurs propriétés singulières, les propriétés de tous les autres objets. Car les objets ne forment pas le réel, mais ils sont dans le réel en voyage ; et dans le rêve, ce sont les propriétés des objets qui voyagent ; et se passant de l'un à l'autre leurs forces, ils nous apprennent la réalité en entier.
Ainsi donc, c'est avec la perte de leurs qualités singulières que les objets nous apprennent la réalité ; et la conscience, en nous montrant ce qui est, ne fait que tuer les choses qui parlent ; car il faut toujours qu'un objet cesse d'être soi-même pour nous apprendre en réalité ce qu'il est. Les paroles absurdes du rêve sont des paroles de la réalité en voyage, c'est-à-dire qui vient de commencer à parler.
Faire le sacrifice de soi, c'est entrer dans la réalité murmurante ; c'est permettre à tous les objets du Sensible d'utiliser vraiment leurs propriétés. Renoncer à une propriété singulière, c'est le moyen d'entrer réellement dans toutes les autres. Et l'altruisme primitif qui réside dans un abandon illimité de soi-même fournit une richesse dont la conscience étriquée de l'homme moderne ne soupçonne pas les propriétés.
Que fait le rêve sinon d'enlever à l'oreille qui parle la propriété de recevoir quelque chose que les bruits du monde lui donnent pour devenir à son tour capable d'émettre des sons concertés.
Une couleur qui amène à l'esprit l'hallucination d'une armée en marche, si elle explique comment l'esprit dans les rêves fonctionne, explique aussi que l'extrême particularité des choses puisse, par le côté même où elles sont particulières, nous rapprocher de l'unité de ce qui est.
C'est ainsi que le Primitif faisait tomber les barrières qui, actuellement, nous séparent de la connaissance des objets.
Si tout est dans tout, seul l'esprit primitif a permis à la conscience humaine d'entrer dans la variété des objets par la métamorphose d'un objet.
Et le rêve à travers les temps nous ramène ce temps où, sous le choc de la spontanéité humaine, la Nature entière devenait ensorcelée.
On comprend maintenant par quel mécanisme de sorcellerie naturelle ce qu'on appelle l'esprit primitif ou sacré a pu insuffler à tout ce qu'il touche un monde de qualités infinies et contradictoires ; et comment rien de ce qu'il nous propose ne paraît en réalité ce qu'il est.
« Ce lion croit qu'il est un homme, dit en substance Rimbaud, mais je lui apprends qu'il n'est qu'un roquet. »*
Par contre les lions de Maria Izquierdo sont comme la figure du cratère du volcan sur lequel ils sont nés.
Il y a au Mexique une plante-principe qui fait voyager dans la réalité. C'est par elle qu'une couleur infiniment étirée s'écartèle jusqu'à la musique d'où elle est sortie ; et cette musique amène des bêtes qui hurlent avec la sonorité d'un métal martelé.

On comprend l'adoration de certaines tribus d'Indiens du Mexique pour le Peyotl, qui ne fait pas les yeux émerveillés comme le vocabulaire européen nous l'enseigne, mais qui possède l'étrange vertu alchimique de transmuter la réalité, de nous faire tomber à pic jusqu'au point où tout s'abandonne pour être sûr de recommencer. Par lui on saute par dessus le temps qui demande des millénaires pour changer une couleur en objet, réduire les formes à leur musique, ramener l'esprit à ses sources, et unir ce qu'on croyait séparé.

Maria Izquierdo - Alegoría de la libertad, María Izquierdo
 Les gouaches de Maria Izquierdo m'ont paru au moins dans une certaine mesure participer de cet esprit ; et c'est pourquoi je les ai ramenées. Certes, cet esprit n'est pas pur, et s'il reste au Mexique d'étranges foyers d'esprit sacré, ce n'est pas dans les villes qu'il faut aller le chercher, car ce vieil esprit est indien et le Mexique métis d'aujourd'hui fait l'impossible pour qu'il disparaisse. Car si les métis des villes, qui ont à lutter entre deux sangs, ne peuvent pas tuer leur sang rouge, ils s'acharnent à ruiner en eux tout ce qui peut subsister d'esprit rouge. Et cela dans une peur maladive de ne pas être de leur temps.
Bien que de pure race tarasque, Maria Izquierdo vit à Mexico, et l'on sait que pour les
Mexicains tout ce qui est culture autochtone, tout ce système d'échanges concrets entre l'homme aux sens retournés, et le monde injecté de forces qui le traversent de tous les côtés, tout cela, qui pour quelques-uns d'entre nous participe d'une magie efficace et capable de nous régénérer, apparaît au métis des villes comme quelque chose d'aussi périmé que les mythes de l'ancienne Grèce, ou les tours de passe magiques d'un vieux prêtre babylonien.
Et cette lutte d'influences est visible dans l'art de Maria Izquierdo.
Avec Derain, Masson, Salvador Dali, Chirico, Matisse, la peinture moderne déferle à Mexico ; et bien qu'indienne, Maria Izquierdo est inquiète de ce qu'elle peut lui apporter.
On voit dans ces gouaches des architectures perdues, des statues sur des terres mortes, des pierres qui, dans une lumière de cave, prennent comme un air d'organes humains.
Mais ici et là sa race inspirée est la plus forte, elle sait de quels sortilèges hasardeux la peinture moderne est faite, et que ces sortilèges évoquent la maladie, non la santé. Car les peintres que je viens de citer, que font-ils autre chose que de ramener aveuglément les formes qui montent de leur Inconscient troublé ?
Certes, nous sentons tous confusément, ici, en Europe, que le monde extérieur est fini, et qu'il est temps d'en revenir à autre chose. Ce que nous ne trouvons plus dans le monde éveillé c'est dans le rêve que nous allons le chercher. Et c'est en puisant dans la vie des rêves où leur psychologie à chacun disparaît que les artistes de maintenant en ramènent ces figures, ces formes-signes, qui ont avec les productions primitives de si étranges parentés.
Ils ont retrouvé le vieil esprit qui veut que la réalité obéisse aux formes d'une intelligence inventée. Et c'est l'homme qui, magiquement, les invente. Et le monde est ce qu'il le fait. Ils ont renoncé à l'art qui ne sert pas. Mais ce qu'ils trouvent, ils sont les premiers à prétendre qu'eux-mêmes ne le comprennent pas.
C'est que l'art-inspiration d'aujourd'hui est un art qui a perdu la science. Lorsque l'artiste ancien peignait, il peignait comme on exorcise ; et il connaissait traditionnellement les gestes qui permettent de dissocier ce qui est. L'art était une chasse ouverte dont on suivait anxieusement le trajet. Car chaque fois qu'un artiste opérait, on sent très bien que le monde ne demeurait pas inerte ; et c'est quelque chose de la vie collective qui à chaque fois était rebrassé.
Or il semble, bien que la vie ait tourné, que nous en soyons revenus à ces mêmes régions de la conscience où l'esprit inventait directement des formes pour en rafraîchir la réalité. Mais avec les formes passées les peintres étaient probablement parvenus à commander à tout ce qui bouge, alors qu'aujourd'hui ces mêmes formes, que l'Inconscient collectif a ressuscitées, il se peut qu'elles nous exorcisent, mais c'est parce qu'elles nous commandent, et que nous ne savons plus leur commander.
Si même au Mexique, l'esprit primitif est en décadence, il est trop évident qu'un artiste indien ne peut être lui-même que quand véritablement il s'en inspire, au lieu, comme le fait parfois Maria Izquierdo, de reproduire des images d'Europe qui ne sont que la réminiscence des formes pures qui tournent dans son propre inconscient.

Maria Izquierdo - Alegoría del trabajo, María Izquierdo
 L'esprit indien, quand il subsiste, continue obstinément à produire ces symboles, ces formes-signes qui causent notre étonnement.
J'ai vu dans les danses magiques des femmes avec leur enfant au bras faire le geste d'enlacer le soleil ; et elles connaissent ataviquement le chiffre qui rend efficace cet enlacement.
D'antiques rites et d'antiques vertus reposent au Mexique dans des montagnes ; et l'homme y brûle les arbres systématiquement en forme de signes ; et ces signes qui sont exactement ceux de toute magie traditionnelle, la Nature, comme pour répondre à l'appel de plus en plus désespéré des hommes, les sculpte, avec une rigueur obstinée et mathématique dans les formes de ces rochers.
On voit donc que le Mexique, quand il demeure fidèle à lui-même, n'a rien à recevoir de personne, mais au contraire qu'il a tout à donner.
L'âme indienne n'a que faire de ces tronçons égarés d'une réalité où l'esprit d'aujourd'hui cherche éperdument la trace d'autre chose ; car elle connaît le sens des alliages secrets. C'est en puisant dans son inconscient de race que Maria Izquierdo nous en ramène ses lions qui méritent que l'esprit humain les adore parce qu'ils participent de tous les Règnes où la nature s'est regardée.
Un homme, un cheval, une couleur, un cratère, avec l'espèce de vibration colorée où leurs figures insolites plongent, Maria Izquierdo en peignant nous explique pourquoi les objets sont faits pour aller ensemble. Et c'est par le côté même où elles sont particulières que les propriétés des objets s'attirent ; et elles ne sont qu'artificiellement séparées.
Si les derniers Indiens mexicains ne savent plus considérer ce qu'ils possèdent avec l'esprit de la propriété, s'ils ne connaissent pas l'amour dans la dualité, s'ils ne voient plus ce dont ils sont séparés, c'est qu'ils n'ont jamais perdu cet esprit unique qui réduit le monde à un seul mouvement ; c'est qu'ils ont toujours cet esprit de mort qui a fait la vie de l'ancien Mexique ; et que, détaché de tous les accidents, de tous les aspects passagers du Sensible, l'Indien qui sait tuer ce qui passe, rejoint la vie dans sa totalité.

 (A son retour du Mexique, Antonin Artaud s'était inquiété de trouver une galerie pour y organiser une exposition des gouaches de Maria Izquierdo qu'il avait rapportées à Paris. Pour donner plus de chance à ce projet, il écrivit ce texte qui fut publié dans l'Amour de l'art (n°8, octobre 1937), revue alors dirigée par René Huyghe. Ce texte, paru dans la rubrique Peintres contemporains étrangers, était illustré de quatre reproductions des gouaches de Maria Izquierdo : Cimetière (1936), Danse Magique (1936), Prosternation (1936), Architecture (1937, L'exposition eut lieu en janvier 1937 à la galerie van der Berg, boulevard de Montparnasse.)

*Paraphrase de ce passage d'Une saison en enfer, in Alchimie du Verbe : , plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu'il fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant plusieurs hommes, je causai tout haut avec un moment d'une de leurs autres vies.- Ainsi j'ai aimé un porc.

(Extrait de «Messages révolutionnaires Idées Gallimard 1979 »)   
Maria Izquierdo - Sueño y Presentimiento
Maria Izquierdo - Consolation (1933, gouache on rice paper)
Maria Izquierdo - El dormador 1932
Maria Izquierdo -  Los caballos



 Antonin Artaud au Dôme, en 1937.
Artaud est rentré du Mexique ;
il va bientôt partir pour l'Irlande.
C'est une des dernières photos avant l'internement.