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lundi 5 mars 2018

Roger Caillois – Le champ des signes (extraits)

Le mystère, par un lointain côté, annonce celui de la vie. De frémir, de respirer et de se renouveler confère à chaque espèce de lichens, d'insectes ou d'oiseaux une marque distinctive qui se transmet sans changement notable de génération en génération : en quelque sorte, d'inaliénables armoiries organiques. Un ovule, un acide aminé décident du moindre détail et garantissent la continuité. Dans le règne inerte, les lois qui président aux faciès des cristaux sont d'ailleurs plus rigides encore. Une disposition moléculaire en détermine à la fois la substance et l'aspect. Mais dans une matière sans liqueur reproductrice et sans structure intime sorte de poudre ou de farine agglomérée, douée uniquement de propriétés physiques et chimiques, c'est-à-dire impersonnelles, et même dont aucune n'appartient en propre à l'espèce, quelle étrange stimulation pourrait répartir une telle poussière soudée, pour qu'en son magma quelque différence, quelque ordonnance, quelque figure lisible parvienne à surmonter une indistinction dont il paraissait impossible qu'elle sortit jamais ? Encore moins comment pressentir qu'il puisse en émerger des courbes assemblées en vastes équilibres qui réunissent le prodige de n'être à la fois ni rigoureux ni arbitraires ?


J'admire dans la matière la moins sensible la présence de tracés sans nécessité et sans fantaisie, jamais pareils, toujours parents, dérivant avec évidence d'un prototype abstrait, ébauchant des symétries approximatives et inévitables. Une docilité économe les gouverne avec douceur. Négligence et paresse inaugurent d'incertaines combinaisons, où perce un même chiffre avec une capricieuse régularité.

(Extrait de Roger Caillois « Le champ des signes » avec 25 illustrations d'Estève, Hermann Éditeur des Sciences et des Arts, collection L'Esprit et la Main, 1978)




lundi 3 octobre 2016

Jorges Luis Borges - La luna

La lune

La silencieuse amitié de la lune
(je cite mal Virgile) t'accompagne
depuis cette – engloutie aujourd'hui dans le temps -
nuit ou soirée, où tes yeux
distraits la déchiffrèrent pour toujours
dans un jardin ou un patio qui sont poussière.
Pour toujours ? Je sais que quelqu'un, un jour
pourra te dire en toute vérité :
Tu ne reverras pas la brillante lune,
tu as épuisé la somme prédéterminée
des occasions que t'accorde le destin.
Inutile d'ouvrir toute les fenêtres
du monde. C'est trop tard. Tu ne la trouveras pas.
Notre vie durant, nous découvrons et oublions
Cette douceur accoutumée de la nuit.
Certes la lune est encore au ciel.
Il faut la regarder bien. Elle est peut-être la dernière.


Jorges Luis Borges, traduction Roger Caillois


dimanche 2 novembre 2014

Roger Caillois - "Le monde a commencé avec les pierres..."


« De tout temps, on a recherché non seulement les pierres précieuses, mais aussi les
pierres curieuses, celles qui attirent l'attention par quelque anomalie de leur forme ou
par quelque bizarrerie significative de dessin ou de couleur. Presque toujours, il s'agit
d'une ressemblance inattendue, improbable et pourtant naturelle, qui provoque la
fascination. De toute façon, les pierres possèdent on ne sait quoi de grave, de fixe et
d'extrême, d'impérissable ou de déjà péri. Elles séduisent par une beauté propre,
infaillible, immédiate, qui ne doit de compte à personne. »





Rencontre avec Roger CAILLOIS au sujet de sa passion pour les pierres. L'écrivain explique que les hommes se sont toujours intéressés aux pierres. Au moins depuis les Grecs et l'agate de Pyrrhus. Il évoque certains minéraux dans lesquels se voient des paysages tandis que des vertus sont prêtées à d'autres. Il donne des exemples. Il explique combien la structure minérale peut ressembler à la peinture abstraite et les diverses formes qu'une pierre peut prendre. Il parle des pierres de rêves chinoises, de la fragilité de certaines autres. Le monde a commencé avec les pierres dit-il et il fait part des émotions que l'observation de certaines pierres lui procure. Roger CAILLOIS cite un poète chinois qui, face à une pierre, a écrit "avoir fait une randonnée mystique". Pour l'écrivain, la contemplation des pierres l'aide à sortir du quotidien de la vie.L'interview de Roger CAILLOIS alterne avec des images de pierres diverses appartenant à la collection de l'écrivain et des bancs-titres de dessins.






Roger Caillois - L'écriture de pierres lu par Frédérique Bruyas - Music by Emmanuel Dilhac

 



Pierre Henry - Pierres réfléchies / d'après Roger Caillois (I) 

I - Jardins possibles 4'53
II - Diaspre 4'44
III - Rêverie des roches perforées 3'47
IV - Adoratrice du soleil 4'08



Pierre Henry - Pierres réfléchies / d'après Roger Caillois (II)

 I - Cristal Noir 4:09
II - Sel Gemme 2:55
III - Pierres Blessées 4:21
IV - Exorde 4:43

lundi 24 mai 2010

Roger Caillois - “L’écriture des pierres “ (extrait)



"L'homme a hérité sans le savoir d'un capital d'insolences
immémoriales, de hardiesses malheureuses, de paris ruineux, dont la persistante audace, d'abord accumulée en vain, devrait un jour faire germer pour lui une grâce inédite et rebelle. En elle se conjuguent l'hésitation, le calcul, le choix, la patience, la ténacité, le défi.
Je suppose un Dieu, une intelligence totale, panoramique au sens fort du terme, capable de percevoir en un seul spectacle ces vicissitudes infinies et leur inextricable commerce. Cette conscience hypothétique, à qui rien n'échapperait, ne s'étonnerait pas qu'il existe, elle constaterait, au contraire, sans surprise, une connivence durable, imprescriptible, entre la série des féconds avortements et leur dédicataire universel. Il lui paraîtrait inévitable qu'une secrète affinité permette à l'héritier de reconnaître dans l'écheveau déroutant celle des tentatives aventureuses qui ont tourné court, mais dont la faillite même lui ouvrit un chemin royal."
 
 
—  Roger Caillois - “L’écriture des pierres “