L'enchanteur endormi dans les mirages vert profond
Du tapis
Traverser la Judée le frais jardin clos
Le cimetière
O vent de Galilée miroitement de la nostalgie
Sous une lune de Pierre
Fuir les tigrures des nuages sur le sol aveuglant
Fuir en dansant
Un vent plaintif s'est levé dans mon cœur
De pâles paroles tombées des tuiles ruissellent sur
ma peau sèche
(Mer morte du souvenir au creux de l'après-midi)
Viens enlace-moi
Allons vers les forêts
Les ravins
Les blancs pommiers
Je rêve consumée par une folie dangereuse
L'horizon brûlant et impie
Fait signe
Et des pyramides s'érigent
Sur la plaque tournante
De midi
Je rêve oui je rêve sans espoir de retour
Seul l'aveugle sait maudire la bougie échevelée
Les tendres yeux étirés de l'amour sont cailloux pour toi
Bijoux trous tanières
Luxure et putréfaction
Coutures et balafres de l'église
Nommée
Or
NUIT DE VEILLE
DANS UNE CELLULE EN CRISTAL DE ROCHE
Être invisible et aimée de vous
Nocturne oiseau de proie
Je plane derrière la porte pluvieuse
Solitaire et sauvage
Lourde
De la gélatineuse souffrance orientale
Courir rouge de votre odeur
Dans le jeu phosphorescent des vagues
Nue rousse et tentaculaire
Suspendue au cri de la petite flûte
Pétale
Mon pubis se soulève
Calme houle calme calme
Malheureuse que je suis
La lune brise l'image engloutie
Avant même que sur le sable rose
Votre tête puisse venir mourir
Être invisible et aimée de vous
A quelque lieues de l'Atlantide
Sur la mer ouverte de mes songes
Joyce Mansour
Maria Casarès lit deux poèmes de Joyce Mansour, “La porte de la nuit est fermée à clef, “Nuit de veille dans une cellule en cristal de roche”. Extrait de Joyce Mansour - “Carré blanc”, 1965 - “Où le bas se blesse".
Antonin Artaud - Portrait de Paule Thévenin -
27 Avril 1947
(...)
En novembre (1947) il lui est proposé (Antonin Artaud) une émission radio-phonique. Il accepte aussitôt car il y voit la possibilité de toucher enfin le grand public. En outre, cette manifestation, où l'écoute est prépondérante, va lui permettre d'éprouver toutes les ressources de la voix. Les interprètes sont choisis en fonction de l'équilibre des timbres. Deux voix d'hommes : la sienne et celle de Roger Blin ; deux voix de femmes : celle de Maria Casarès, venue remplacer Colette Thomas défaillante au dernier moment, et la mienne.
Tout de suite il a pensé que les essais de langage qu'il avait commencé à tenter à Rodez seraient un élément déterminant de l'émission. Et, en effet, ils en sont devenus les temps forts. Je pense en particulier à ce dialogue en glossolalies qu'il improvise avec Roger Blin, le ponctuant de sons tirés de divers instruments à percussion : gongs, cymbales, timbales, xylophone, etc., et qu'il nommera par la suite la cage aux singes. Je pense aussi à ce cri qu'il pousse dans la cage d'escalier du studio d'enregistrement, prolongé aux limites de ses forces, dans un crescendo puis un decrescendo parfaitement contrôlés, et qui servira d'articulation entre deux poèmes de l'émission à laquelle il avait donné pour titre : Pour en finir avec le jugement de Dieu. On sait qu'elle sera interdite d'ondes et que ce sera la dernière grande déception qu'Antonin Artaud éprouvera :
on n'entendra pas les sons,
la xylophonie sonore,
les cris, les bruits gutturaux et la voix,
tout ce qui constituait enfin une 1ère mouture du Théâtre de la Cruauté.
C'est un DÉSASTRE pour moi.
Il est un peu étrange que, de cette manifestation dont il écrivait qu'elle étaitla première mouture du Théâtre de la Cruauté,Antonin Artaud ait en définitive écarté un grand poème qu'il avait écrit tout exprès et auquel il avait redonné le titre de ses manifestes de 1932 à 1933 : Le Théâtre de la Cruauté. Peut-être, justement, n'avait-il pas voulu que l'intention théâtrale fût à ce point soulignée.
Fin février 1948, une diffusion de Pour en finir avec le jugement de Dieu fut organisée pour un public d'invités dans un cinéma désaffecté qui, curieusement, avait le même nom que le bateau qui avait ramené Antonin Artaud d'Irlande : le Washington. Au soir de cette séance, il écrivit :
je ne toucherai plus jamais à la Radio
et me consacrerai désormais
exclusivement
au théâtre
tel que je le conçois,
un théâtre de sang,
un théâtre qui à chaque représentation aura fait gagner
corporellement
quelque chose
aussi bien à celui qui joue qu'à celui qui vient voir jouer,
d'ailleurs
on ne joue pas,
on agit.
Quelques jours après, à potron-minet, il fonçait sur la mort:
Le théâtre est une activité après laquelle il ne reste plus à l'acteur que de
foncer sur la mort et vivre. (Avril 1947)
(Extrait de Paule Thévenin « Antonin Artaud, Ce Désespéré qui vous parle »,
p. 128, 129, 130, Essais Seuil, Fictions & Cie, collection dirigée par Denis Roche, Éditions Seuil, février1993.)
Antonin Artaud -
Paule aux ferrets ou
Portrait de Paule Thévenin
24 Mai 1947
Antonin Artaud - Portrait de Roger Blin -
22 Novembre 1946