mercredi 28 avril 2010

Joë Bousquet “Le cahier noir” (extrait)

C’est sa nudité Qu’elle découvre dans mes yeux en déshabillant sur elle leur regard en s’asseyant pour ainsi dire dans le rêve où j’étais son image adorée : elle se dépouille d’elle même dans l’ivresse de se dorer aux regards de son amant de tout le soleil qui s’est éclairé entre eux : C’est de tout le ciel qu’il possède le fruit dans cette croupe tournée vers lui dont il fouille la carnation transparente comme un doux miroir où descendent ses gestes comme afin d’y revêtir la force dont il est plein de l’éclat où la pensée s’est exprimée avec des éléments de vie. A peine ai-je découvert son cul que mon regard s’y traverse d’une douceur inexprimable, se plongeant en lui même comme pour y épanouir sous l’éclatant duvet de fruit de chair le regard de mon amour et ce qu’il devenait à travers moi dont il dispersait tous les sens afin de m’ouvrir son ombre comme un horizon où m’ouvrir ma pensée : C’était un pari. Cette croupe me repoussait de la clarté qu’elle répandait. Elle me traversait de la lumière comme en écartant sur elle les ténèbres qui me traînaient avec elle, et c’est dans la lumière de mon enfance que je la voyais s’envelopper de sa blancheur, découvrir à mon amour une image magnifique dans les voiles soulevés de l’innocence et de la splendeur.

 Joë Bousquet “Le cahier noir” (extrait)

 

 

lundi 26 avril 2010

André LAGRANGE

La nuit - de blanches images de faux vieillards. Monte à l'assaut des ombres un peuplement de sorciers ! Frissonnante, je me toise dans le miroir hanté. J'assombris mes contours, me love - poulpe lunaire - autour de cette sombre parure cristallisant ma vulve. Enfin je métamorphose la palpitation douloureuse d'une échancrure du destin. Dès lors enchâssée par le désir des hommes dans une gangue spermatozoïdique, je brûle mon spasme (immobile) dans l'anéantissement sacrilège des mille possessions humiliant mes chairs.

                                (Méandres du chiffre cinq, partie SOURCE, 1980)

mercredi 21 avril 2010

NOVALIS extrait de "Fragments"

Il n'y a qu'un temple au monde et c'est le corps humain.
Rien n'est plus sacré que cette forme sublime.
S'incliner devant un homme, c'est rendre hommage
à cette révélation de la chair. C'est le ciel que l'on touche
lorsque l'on touche un corps humain.

(Extrait de Novalis, "Fragments",
précédé de "Les disciples à Saïs"
José Corti Editeur)

mardi 20 avril 2010

Unica Zürn - Dans la friche de cette vie

Blême un hachoir de lassitude
taraude au creux du buste.
Au dru du taillis
Sperme-sève-soie. Egruges
au berceau du coeur pertuis.
Suave, s'embrume en frimas
le nectar de l'Ibis. Formes
dans la friche de cette vie.

(Extrait de Unica Zürn " Anagrammes ". Supplément aux n° 11 et 12
de la revue Transitions, janvier 1983)




dimanche 18 avril 2010

The Unfolding Opium Poppy by Rebecca Cherry

Black and White silent film with music for Violin and Piano. Composed by David soldier, performed by Rebecca Cherry, Film excerpts by Jennifer Reeves, Editing by Rebecca Cherry

vendredi 2 avril 2010

GRENOUILLE SANS BÉNITIER

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   En ces dictons obscures, Rabelais nous dit que les « grenoilles en leur premiere generation sont dictes gyrins et ne sont qu’une chair petite, noire, avecques deux grans oeilz et une queue », c’est la description du têtard. Mais Rabelais ajoute plaisamment : « Dont estoient dictz les sotz : Gyrins », selon Platon, Pline ou Aristophane.
Mais la grenouille, féminisation du crapaud, est moins aujourd’hui symbole de bêtise que de babil et de bavardage inconsidéré.
   Dans l’Antiquité, la grenouille était « une plaie » : comme la sauterelle, elle faisait partie de cette faune incertaine, mi-normale, mi-monstrueuse, représentant les vestiges du chaos primordial où les animaux hésitaient encore entre l’eau et la terre, entre le monde aquatique et le ciel. Au Moyen Age et jusque chez Victor Hugo, la grenouille reste associée à l’univers des crapauds, des lézards, des serpents même. Bête des marécages, sortant de son obscur habitat à la nuit tombée pour honorer la nuit ou la lune de son coassement inhumain et pourtant mélodique, elle est bénéfique et maléfique. Ambivalence que l’on retrouve dans de nombreuses légendes. Le batracien est cependant un animal lunaire avant tout. Il subit des métamorphoses. Du têtard, le gyrin de Rabelais, à sa nature adulte, accroupie, expectative, capable de s’enfler au point d’éclater. Et cet enflement est encore une métamorphose. G. Durand souligne que « la grenouille, comme le lièvre, habite et hante la lune et joue le rôle d’avaleuse diluviale associée à la pluie et à la fécondité ».
   Animal lunaire associé à la pluie, la grenouille devient baromètre, montant et descendant son échelle pour prédire aux hommes le temps qu’il fera. Symboliquement elle vire du rose au bleu selon les normes modernes de l’information divinatoire. En réalité, la grenouille est verte : c’est un symbole de résurrection et d’espérance. Selon Maspéro, les premiers chrétiens figuraient la Résurrection pascale sous l’emblème d’une grenouille placée au centre d’un lotus. Les Egyptiens en avait fait l’hiéroglyphe du renouvellement en raison, encore, de ses métamorphoses, et le symbole de la curiosité.
   On remarquera sur le célèbre tableau de Jérôme Bosch, l’escamoteur, qui met en dérision cette curiosité mauvaise conseillère, une grenouille sur la table du bateleur. Fraenger nous rappelle (op. cit. p. 253 et 262) que la grenouille était l’idole de la secte hérétique des Ebionites et « symbole gnostique traditionnel de l’androgynie comme de la résurrection et de l’immortalité ».  Cette grenouille gnostique apparaît ailleurs dans plusieurs tableaux de Bosch en particulier dans la Tentation de Lisbonne où elle incarne, toujours selon Fraenger, l’aberration hérétique, la tentation et la perversion satanique.
L’église la retrouve dans ses bénitiers. Avant que l’on désigne par l’expression « grenouille de bénitier » une bigote qui frise l’hérésie en exagérant sa religiosité, il était convenu de sculpter au fond des bénitiers un crapaud ou une grenouille qui figurait le démon ainsi exorcisé sous deux doigts d’eau bénite.
   On consultera si l’on peut, l’Histoire des grenouilles de A.J. Roesel (1758) dont les planches admirables mêlent la fiction et l’exactitude scientifique.


(Tiré du « Bestiaire Fabuleux » de Jean-Paul Clébert,
Editions Albin Michel 1971)