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mercredi 6 mars 2019

Antonin Artaud - La question se pose de...

Antonin Artaud, photographie de Denise Colomb 1947

Ce qui est grave
est que nous savons
qu’après l’ordre
de ce monde
il y en a un autre.


Quel est-il?


Nous ne le savons pas.


Le nombre et l’ordre des suppositions possibles
dans ce domaine
est justement
l’infini!


Et qu’est-ce que l’infini?


Au juste nous ne le savons pas!


C’est un mot
dont nous nous servons
pour indiquer
l’ouverture
de notre conscience
vers la possibilité
démesurée,
inlassable et démesurée.


Et qu’est-ce au juste que la conscience?


Au juste nous ne le savons pas.


C’est le néant.


Un néant
dont nous nous servons
pour indiquer
quand nous ne savons pas quelque chose
de quel côté
nous ne le savons
et nous disons
alors
conscience,
du côté de la conscience,
mais il y a cent mille autres côtés.


Et alors?


Il semble que la conscience
soit en nous
liée
au désir sexuel
et à la faim;


mais elle pourrait
très bien
ne pas leur être
liée.


On dit,
on peut dire,
il y en a qui disent
que la conscience
est un appétit,
l’appétit de vivre;


et immédiatement
à côté de l’appétit de vivre,
c’est l’appétit de la nourriture
qui vient immédiatement à l’esprit;


comme s’il n’y avait pas des gens qui mangent
sans aucune espèce d’appétit;
et qui ont faim.


Car cela aussi
existe
d’avoir faim
sans appétit;


et alors?


Alors
l’espace de la possibilité
me fut un jour donné
comme un grand pet
que je ferai;
mais ni l’espace,
ni la possibilité,
je ne savais au juste ce que c’était,


et je n’éprouvais pas le besoin d’y penser,

c’étaient des mots
inventés pour définir des choses
qui existaient
ou n’existaient pas
en face de
l’urgence pressante
d’un besoin:
celui de supprimer l’idée,
l’idée et son mythe,
et de faire régner à la place
la manifestation tonnante
de cette explosive nécessité:
dilater le corps de ma nuit interne,


du néant interne
de mon moi


qui est nuit,
néant,
irréflexion,


mais qui est une explosive affirmation
qu’il y a
quelque chose
à quoi faire place:
mon corps.


Et vraiment
le réduire à ce gaz puant,
mon corps?
Dire que j’ai un corps
parce que j’ai un gaz puant
qui se forme
au dedans de moi?


Je ne sais pas
Mais
je sais que


l’espace,
le temps,
la dimension,
le devenir,
le futur,
l’avenir,
l’être,
le non-être,
le moi,
le pas moi,


ne sont rien pour moi;


mais il y a une chose
qui est quelque chose,
une seule chose
qui soit quelque chose,
et que je sens
à ce que ça veut
SORTIR:
la présence
de ma douleur
de corps,


la présence
menaçante,
jamais lassante
de mon
corps;


si fort qu’on me presse de questions
et que je nie toutes les questions,
il y a un point
où je me vois contraint
de dire non,


NON


alors
à la négation;


et ce point
c’est quand on me presse,


quand on me pressure
et qu’on me trait
jusqu’au départ
en moi
de la nourriture,
de ma nourriture
et de son lait,
et qu’est-ce qui reste?


Que je suis suffoqué;
et je ne sais pas si c’est une action
mais en me pressant ainsi de questions
jusqu’à l’absence
et au néant
de la question
on m’a pressé
jusqu’à la suffocation
en moi
de l’idée de corps
et d’être un corps,


et c’est alors que j’ai senti l’obscène


et que j’ai pété
de déraison
et d’excès
et de la révolte
de ma suffocation.


C’est qu’on me pressait
jusqu’à mon corps
et jusqu’au corps

et c’est alors
que j’ai tout fait éclater
parce qu’à mon corps
on ne touche jamais.




Paule Thévenin - “La question se pose de…” ( Extrait de Antonin Artaud “Pour en finir avec le jugement de Dieu”, 1947).

Écoute en  intégralité de la création radiophonique d'Antonin Artaud

 « Pour en finir avec le jugement de dieu »  ICI

 

Intégralité du texte en PDF ICI

jeudi 7 février 2019

Antonin Artaud- “Centre mère et patron minet”

Antonin Artaud, photographie de Denise Colomb
Je parle le totem muré
car le totem mural est tel que les formations vis-
   queuses de l'être ne peuvent plus l'enfourcher de
   près.

C'est sexe carne ce totem refoulé,
c'est une viande de répulsion abstruse
ce squelette qu'on ne peut mâtiner, ni de mère, ni
   de père inné,


n'étant pas la viande minette
qu'on copule à patron-minet.

Or la panse n'était pas affrétée quand totem entra
   dans l'histoire
pour en décourager l'entrée
et il fallut ventre à ventre cogner
chaque mère qui voulait pénétrer
chatte-mite en patron-minet
dans l'exsangue tube insurgé
comme au centre de la panacée ,

chatte-mite et patron-minet sont les 2 vocables
   salauds (putiers)
que père et mère ont inventés pour jouir de lui
   au plus gros près.

Qui ça, lui ?
Totem masturbé
                  étranglé
comme un membre dans une poche
que la vie froche de si près,
qu'à la fin le totem muré
crèvera le ventre de naître

                    elanspkir
                    gelanski
                    zarouli
                    e le roula
                    e la roula
                    e la gastanski

à travers la piscine enflée
du sexe de la mère ouverte
par la clef patron-minet.


( Extrait de Antonin Artaud ,Œuvres Complètes, Éditions Gallimard, vol. XII,
« Artaud le Mômo », « Ci-gît » précédé de « La culture indienne »,
p. 148, « Dossier d'Artaud le Mômo » )




“Centre mère et patron minet” - Paule Thévenin ( Extrait de Antonin Artaud “Artaud le Momo”, 1947

“La Véritable Histoire d'Artaud le Mômo”

Réalisateur(s):

Gérard Mordillat

Jérôme Prieur

mardi 3 avril 2018

Jacques Prevel

14 décembre 1946, écrit à Ivry

Antonin Artaud me disait un soir de ces derniers jours :
- Monsieur Prevel, quand je vous regarde et que je vous vois souffrir,
j'ai le sentiment d'une injustice commise à votre sujet. Je sens que vous êtes étouffé,
que vous ne respirez pas, et cela m'est pénible de vous voir ainsi souffrir.
Et moi, quand je regarde le monde, je pense comme Artaud. A quoi ça sert, à rien du tout. Moi qui suis à mi-chemin de l'absolu, je voudrais pénétrer complètement dans le domaine de la vision, je voudrais que mes yeux soient pareils aux ondes qui parcourent les étendues illimitées des espaces interplanétaires. C'est vrai qu'il y a une injustice qui me frappe d'une irrémédiable perte d'énergie où se précipite la solitude, l'angoisse, l'horreur de me sentir environné d'une vie qui prolifère autour de moi à mes dépens.
Il n'y a rien à faire, je suis lié à l'élémentaire. Je veux dire qu'une absurde discipline
me contraint à la surface de la vie. Impossible de faire le plongeon nécessaire, car je sais que je suis trop faible pour atteindre le fond du gouffre. Je reviendrais la face violacée, les membres horriblement crispés par le froid et les mains comme des pierres mais inutilement refermées par leur angoisse sur le vide, sur leur paume tuméfiée. Pas une parcelle d'or, pas un grain de sable. Je n'aurai rien su rapporter d'un pénible effort vers l'abîme. C'est pour cela sans doute que je suis à jamais perdu dans le dérisoire, dans l'élémentaire sordide et banal de l'existence.
Tourner la page de l'album après, voilà ce que je dois faire, tourner la page, changer de disque, essayer de vivre avec la désolante vision de tout ce qui QUI EST-CE QUI A GAGNÉ LA BATAILLE DU MALPLAQUET. AH CE SONT LES JUIFS, LES RABBINS D'HIER SOIR. JE NE DIS PAS ÇA DU TOUT DE TOUT CE QUI JE SUIS CE DÉ lamentablement me frappe au visage et m'empêche de respirer.
Ce soir, arrivant à Ivry avec Antonin Artaud, je regardais les pierres noircies par la boue et la pluie EST-CE QUE VOUS CROYEZ QUE LES RABBINS SONT DESCENDUS DANS UNE CAVE LA NUIT DENIÈRE, UN CERTAIN NOMBRE DE RABBINS DE PARIS ? J'ai le sentiment d'être complètement perdu. Mon esprit appartient à l'ornière, à la pluie, je marche sur le peu de lumière qu'il me reste. Je me détruis moi-même jour après jour. QU'EST-CE-QUE J'AI À L'ESTOMAC ?
(Tous les mots en capitales ont été prononcés par Antonin Artaud.)


Antonin Artaud - Portrait de Jacques Marie Prével, 1947
Jacques Prevel "En compagnie d'Antonin Artaud", en date du
Lundi 28 avril 1947

Si Jacques Marie Prevel pouvait savoir quel péché
l'écrase, et moi qui ne crois pas au péché je dis de quel
péché mis sur lui Jacques Prevel écrase. (haut)

L'androgyne rompu reprit l'un et le tenta de l'homme mais c'est (gauche)

qu'il tenterait de la femme dans le même moment et Satan le feu fut partout. (droit)

Que Jacques Marie Prevel ne fasse pas le péché que toute sa figure mérite, qu'en lui-même Marie prémédite contre Jacques Prevel. (bas)


Antonin Artaud, 26 avril 1947


Ce portrait a été reproduit en frontispice des cent exemplaires sur vélin pur fil de l'édition originale de "De colère et de Haine". Dans son "Testament" (voir "Poèmes"), Jacques Prevel l'a légué à Jany. En fait les deux textes verticaux se complètent, et il faut lire les deux textes horizontaux à la suite, c'est-à-dire enchaîner au premier cité celui que Jacques Prevel copie ici en dernier.


(Jacques Prevel "En compagnie d'Antonin Artaud", note de Bernard Noël n°56)



Antonin Artaud, Jacques Prevel de profil
Ivry, mercredi 6 août 1947 (extrait)

(…) Je voudrais faire éclater ce qu'il y a de réel, mais je retombe dans la salle engeance des mots, qui sont stériles comme un mâchefer. Oui, je le sais, de temps en temps je trouve un bout de charbon, et même un bout de charbon chauffé à blanc, et qui se détache de cet agglomérat de substance amorphe et noire où je suis enlisé jusqu'aux épaules, et dont je n'arrive pas à me débarrasser quelque effort que je fasse, je ne songe même pas que Gérard de Nerval a habité cette même chambre où Artaud est étendu et soupire douloureusement ce matin. Cela n'est rien, cela n'est rien non plus que j'y sois présent avec Jany et qu'Artaud y soit depuis des mois à créer et à souffrir dans le passage impraticable de l'absolu. Cela ne fait rien... Il y a autre chose qui compte et qui se détache et qui présente à travers les murs un rugissement plus puissant. Mais quel est-il cet être ? Quels sont-ils ? je voudrais me lever et m'emparer du nombre démultiplié ici on ne sait par quelle rumeur qui dépasse celle qui nous concerne et qu'est-ce qui nous concerne sinon la strangulation d'un lacet sanglant dont se délectent les larves depuis un temps qu'on ne peut dénombrer, et qui ne s'inscrit que dans la quadrature de l'horreur et de la démence.


La chambre d'Artaud, hôpital d'Ivry-Sur-Seine. Photo de Denise Colomb, 1947
 

Ils avaient construit une éternité visible
Suspendue à flanc de montagne
Et brûlée par un soleil comme des pointes
    enfoncées
Dans le sommeil et burinées
Antonin Artaud - Portrait de Jacques Prevel, 27 Août 1946
A l'état de veille dans leur marche à l'étape du
désert
Sable rouge et verdâtre étendue illimitée de steppe
Ossements et cadavres durcis
Chemins propices à la mort
Définitifs et sans objet
Où la nuit s'écartait comme une clarté sur la
    nudité
D'une possession secrète
Lèvres serrées poitrine douce et osseuse
Et ces bras fragiles comme des tiges de fleurs
Cuisses et sexes entremêlés dans l'extase
Et la consolation de l'étape sans pain et sans    
   sommeil
Communion à jamais du refus


En dérive vers l'absolu
Il ne me reste qu'à enfreindre l'ordre
De toute justice
Pour me détacher sans consentement
De sa violence qui m'accable
J'ai vécu la confusion
Je suis mort de la confusion
Pour ma défense qu'aurai-je à dire
Mes forces se détruisent et me détruisent dans
   l'égarement
Je suis un criminel
Qui n'a pas compris le geste simulé


Recherche sinistre voyage
Brouillard avec le froid la pluie les larmes et le
   feu tremblant
De nos pas pressés dans la rauque naissance
De nos désirs fusant comme un atoll de lave
Au centre du monde
Nous avions brusquement saisi
L'échelle éternelle
Et nous nous étions penchés sans effroi                              
Sur nos tombes entr'ouvertes
Mais l'esprit fut vaincu et poignardé
Par la seule entente de nos mains nues


Au début d"un printemps mort et glacé
Je me souviendrai du démembrement
De la mer et de cet astre où je suis passé
Comme un pirate avec en berne
Le drapeau noir et colorié d'une existence légen-
   daire
Mais tout sera révolu
L'amer vinaigre du sperme
Et du sexe où j'avais bu l'extase
Dans la substance d'une toile et d'un amour
    éblouissant
Sur le roc d'une fournaise
Que je ne souhaite à quiconque ici

( Extrait de Jacques Prevel "De colère et de haine",
Éditions du Lion, Paris 1950 que l'on trouve dans
Jacques Prevel "Poèmes" Éditions Flammarion 1974 ) 




 


mercredi 7 février 2018

Arthur Adamov

Arthur Adamov 1947. Photo de Denise Colomb
Rendre témoignage. Rendre, c'est restituer.
On ne peut rendre que ce dont on a pris possession.
Pris, c'est à dire touché, goûté, senti, vu.
L'essentiel est de voir. Voir non pas les choses mais à travers elles.
De sa naissance à sa mort, au long des jours, l'homme ne voit presque rien. Les paupières entr'ouvertes sur le monde extérieur, il classe immédiatement ce qu'il voit dans des catégories toutes faites comme pour s'excuser de voir si mal et s'en débarrasser. Il dit : ceci est une chaise, ceci est un chien. Ainsi il se dispense de voir.
Il s'agit de voir, de fixer un objet jusqu'à ce qu'il abandonne son sens usuel, que ses apparences s'évanouissent. Alors toute pensée s'arrête, figée, stupide, devant l'insolation de la vision, le soleil torride de la stupeur...
Qui n'a été frappé de stupeur au cours d'une nuit, où il ne reconnaît plus rien d'un paysage pourtant familier.
Une avenue au bord de la mer, de grandes bâtisses modernes anonymes et correctes, stores jaunes et pierres blanches, et soudain, c'est une nuit sans lune, une de ces grandes nuits illustres où les étoiles apparaissent et disparaissent entre les nuages, et de l'œuvre sordide créée de la main des hommes, il ne reste plus le moindre souvenir. A sa place, surgissent les constructions de l'impalpable, rectangles fluides et mystérieux posés là dans la nuit à des fins incompréhensibles.
Tout peut devenir aussi méconnaissable que la face d'un lieu transfiguré par la nuit. Pour l'homme que vient hanter l'ombre de l'inconnu, chaque objet est un creux révélant le mystère de l'intérieur obscur de lui-même.

( Extrait de Arthur Adamov « L'aveu », Éditions du Sagittaire, 1946.) 



 

















LA PAGE DE FRANCE CULTURE CONSACRÉE A ARTHUR ADAMOV

Portrait d'Arthur Adamov par Antonin Artaud, circa 17 juin 1947.
Crayon et craie rouge.

Jacques Prevel écrit dans son journal (op. cit. p. 145), à la date
du 17 juin 1947, que le portrait d'Adamov, commencé il y a longtemps, a été achevé.
L'inscription qui se lit en bas du dessin est à la craie rouge :
Arthur Adamov / auteur / de l'aveu : livre unique: dans / l'histoire /
des "lettres".

(Extrait de "ARTAUD dessins et portraits" Paule Thévenin, Jacques Derrida,
Éditions Gallimard, 1986)

lundi 26 octobre 2009

Colette Thomas



« Colette Thomas, la première femme
de Henri Thomas. Comédienne, elle
répétait, comme on le verra, avec
Antonin Artaud. Elle a laissé sous
le pseudonyme de René, un livre,
Le Testament de la fille morte,
paru aux éditions Gallimard en 1954.
Ce livre se compose de cinq parties :
« Le débat du cœur », « Fragments et
inversions », « Du véridique Théâtre, »,
« Crimes et contes », « Derniers efforts
avant que je meure » ; il laisse loin
derrière lui la plupart des œuvres
auxquelles on a fait un succès depuis
vingt ans. »
    Bernard Noël
(En compagnie d’Antonin Artaud,
journal de Jacques Prevel,
Flammarion 1974.)

                                                  Le Testament de la Fille Morte

(…)
  Hier matin j’éprouvais une impression assez forte de
puissance et de beauté.
  J’étais allongée sur une avancée de terrain rocheux, à
peu près nue, pour que le soleil me traverse un peu. Il n’était
pas loin de midi. Je m’amusais à enfoncer mes ongles dans
les tiges triangulaires et charnues de plantes qui traînent
sur le sol comme du lierre et qu’on appelle pattes de
sorcières – ici.
  Je regardais le ciel vif et blanc – et je tournais la tête
vers la gauche – là-bas le ciel étais gris – presque noir –
les collines bleues et la mer presque noire aussi. Je pensais
que l’orage allait venir. Puis je voyais mon corps blanc – la
terre jaune et le ciel toujours blanc et rayonnant au-dessus
de ma tête – et je considérais cet orage menaçant comme
un évènement d’un autre monde.
  J’entendis alors le roulement du tonnerre. Il se répercutait
sur les collines que je voyais à distance et qui se perdaient
en arrière de mon dos – et venait s’éteindre dans le ciel du
nuage qui touchait presque le soleil au-dessus de ma tête,
comme une vague qui s’en retourne.
  Presque aussitôt, je vis une merveilleuse lumière – la
lumière même brandie par je ne sais quelle main – zébrer
le côté gauche du ciel noir.
  Elle était jaune et précise comme une fabrication mécanique
et préméditée de quelque homme.
  Je pensais alors : « Je suis du côté des dieux ». Je considérais
l’orage comme une grande pièce de machinerie que j’aurais
pu manœuvrer moi-même. Cette impression m’était donnée
par le fait que mon corps même ne subissait pas l’orage mais
au contraire baignait dans la lumière et que j’avais emporté
avec moi ce pique-feu qu’Antonin Artaud m’a donné et qui
est comme un éclair solidifié – et que je peux tenir dans ma
seule main.
  Mais je ne voulais pas user inutilement de mon pouvoir
et rentrai chez moi afin de ne pas être mouillée.
                                       La Nartelle, 23 août 1947.
  Et ce matin l’impression de mort.
  Un brusque anéantissement dans la mer – j’ai sombré –
sans le vouloir. Je suis revenue à moi et aussitôt regagné
le rivage avec la sensation que toute la nature n’était qu’une
immense pieuvre – prête à m’engloutir.
  (…)
                                  Non.
  Je me suis réveillée en même temps que ce rêve : je suis
couchée endormie – mes cheveux sont beaux et admirablement
peignés. J’ouvre les yeux je remarque un peigne posé à côté de
ma tête – il est très sale – et presque en même temps sur les draps
je vois une tache de sang ramifiée comme une algue séchée dans
un album – le peigne et le tache me fascinent. Pourtant un homme
galant et amoureux me baise la main – ma chevelure scintille -.
trop tard la réalité m’avait prise – je me lève dans le monde où
les peignes sont sales et les draps tachés.
  Mais NON ! Voici que je m’éveille réellement – que je me lève
REELLEMENT et que je marche !
                                                
Voir aussi :  René Le testament de la fille morte
                                                                          
Antonin Artaud - Portrait de Colette Thomas
Denise Colomb,  Portrait de Colette Thomas, Octobre 1947
Denise Colomb,  Portrait de Colette Thomas, Octobre 1947