jeudi 14 novembre 2013

LAURE (Colette Peignot) - Extrait de Poèmes et Textes postérieurs à l'été 1936



L'existence humaine est sans prix
sans plus ni moins de prix que tout ce qui existe
végétal, minéral, animal
tout ce qui brille, hurle, brame, gémi
barrissement d'éléphant
mugissement de vache.
L'âne brait, le serpent siffle.
Il n'y a pas de liens si puissants qu'ils n'arrachent
un être à la mort. La mort triomphe.
Le rire – L'insolence heureuse : « Faites passer
votre charrue sur les os des morts*. »

* Ce poème de William Blake se situe dans l'ensemble qu'il a intitulé
« Le mariage du Ciel et et de l'Enfer ». Le texte est littéralement « Drive your
cart your flow over the bones of the dead ».




*****



     Moi aussi je suis bien dressée... de telle heure à telle heure.
     Nous sommes tous des singes très savants.
     Rire – rire – rire.
     Le mot du jeu.
     Attention : vont-ils s'apercevoir que noir veut dire blanc, mais
non, non, jamais.
     C'est simple : impossibilité d'échanges vrais - plus jamais.
     Quel soulagement : je ne suis jamais là où les autres croient
me trouver et pouvoir me saisir.
     L'existence : alcaline et douceâtre.
     Assez – assez – assez.
     Vous devriez vous « méfier » un peu plus – faire sonner mes
mots comme on vérifie sa monnaie : la monnaie de votre pièce.
     La voix « normale », infantile, couvant l'ironie féroce. Mais
vous êtes si bien dressés que vous ne le sentez pas. Qui pourrait
supposer que l'on aille si loin dans la dissimulation qui ne dissimule
que soi-même et non des actes, des faits, des buts intéressés, calculés.

(juin ou juillet 1938)


(Extrait de Poèmes et Textes postérieurs à l'été 1936,
- "Ecrits de Laure"- ed. J.J.Pauvert 1985)

vendredi 1 novembre 2013

Valentine Penrose - Les magies - (2 poèmes)

Valentine Penrose, 1934. Photographie de Roland Penrose.
Archives photographiques Lee Miller



                                                               GILLES DE RAIS


Eau secoue la pluie des toits
Celle des châteaux du lierre
C'était vert l'eau bouillonnait.

Ce furent des draperies
Tige antique garnison
Cœurs cachés des Mélusines
Sous de feutrées floraisons.
Jamais étoile du berger
Ne montra du si féerique
Il n'était plus soir ni jour.

Au long battant à la longue aile
Terrifiant
Toi l'aîné le seul le lierre.

Il y eut un tel sourire
Quand ce fut le nid de feu
Parmi le cierge et la fleur
Un plat sourire de pierre
Une Lilith toute blanche
Grande géante là-haut
Au-dessus du nid de feu.

On ne pouvait arriver
A plus vieille sécurité
A plus sereine bienveillance
Dans les bras d'avant Adam
Au cercle des démons blancs

Disons disons
Le cœur marron
Noir de baies boules chatons
Résidus violets des baies
Fruit de fusain
Oui zinzolin
Et laurier-tin

Manche étain talisman plomb
Car il est une saison
Où l'on relève la garde

La belette saute comme une guerrière le château hurle
Y suivent des manches de couleurs sans noms
On revient
  • Peut-être encore un matin perlé une rose blanche -
Puis traînant ces ailes et ces manches somptueuses il faut tuer.


*****

TENERIFE II

                                                           EL VERDINO *
                                                          (Le chien vert)


De la hauteur de la chambre
Laide comme un fort dans cette ville de loisir et de plaisir
De ces mains vertes qui entrent d'arbres
Je dis
Que je voudrais un chien vert.

Madame qu'as-tu fais aux gens
Pour qu'ils t'aiment et ne t'aiment pas
Pour rire et pour pleurer tant eux et toi ,

Ayant vue sur de grands insensibles lauriers
Faits pour les avenues sans gloire et abriter
Allumée à mon propre feu comme une médaille
J'ai ramassé l'éclat de l'île et à mon poing
A mes blasons à mes côtés
Je vous le dis
Je voudrais un chien vert.

Car je suis tournée à l'est
A mon est est la goyave
Et quand le soir reviendra
Aura très peur la médaille.
Ce parc peu sûr est contre vous dans ses habits
Les araignées dessous y marchent en armées
Sous la fiancée inerte au banc de son soldat.
Des lilas pas gentils y dévorent la nuit
De fiefs verts exhalés qui vous feront souffrir
Aussi sur le banc noir des fiancées et soldats.


Il y a des cristaux inouïs transparents
Pour les noces des gens qui ne savent pas quoi
Et sont le perroquet et le chien de quinquet
Dans leur île étoilée en son trottoir sans garde.


Quelqu'un m'a dit passe à l'ombre
M'a dit passer dans le fiel
Et j'ai trouvé la colonne
Tournante à l'église morte.

Voilà pourquoi je veux cette chose tangible
Un chien vert de conquêtes chevronné de pistes
Où les sceaux sont frappés sur une peau de feuille
Et durement mené par l'île aux doigts de pierre.

« Je sais depuis longtemps
Ce qui me reste à faire
Et de tous mes verdinos
Et mes voix de cratère. »

Les femmes mages sont debout ont marché se sont assises
Avec leur petit chapeau leur mante sont allées prédire
Prédire à l'envers.
Les chiens ont mangé toutes les feuilles de Tacoronte
Puis ils ont hurlé
Dans les siècles
En amont de leurs mères
La chanson d'aujourd'hui.

Et râlons tordons crions
Sans savoir pourquoi
Petits sans massues :

« Un rat a descendu
Reprisant une chaussette
Un autre rat a monté
Rapiéçant un caleçon
La grande rue del Castillo. »


*Verdino : race très ancienne de dogues au pelage vert mousse tigré de brun,
indigènes de l'île Ténérife, sur les armes de laquelle ils figurent.



(Extrait de : Valentine Penrose « Les Magies », Les Mains Libres Éditeur 1972)




Joan Miro  - Frontispice pour
Les Magies  de Valentine Penrose.