lundi 29 juillet 2013

Georges Bataille "Le coupable" (extraits)

Georges Bataille par Eli Lotar
dans “Une partie de campagne”, de Jean Renoir, 1936

Un corps nu, exhibé, peut être vu avec indifférence. De même il est facile de regarder le ciel au-dessus de soi comme un vide. Un corps exhibé, toutefois, possède à mes yeux le même pouvoir que dans le jeu sexuel, et je puis ouvrir dans l'étendue claire ou sombre du ciel la blessure à laquelle j'adhère comme à la nudité féminine. L'extase cérébrale éprouvée par un homme embrassant une femme a pour objet la fraîcheur de la nudité ; dans l'espace vide, dans la profondeur ouverte de l'univers, l'étrangeté de ma méditation atteint de même un objet qui me délivre.

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L'érotisme est cruel, il mène à la misère, il exige de ruineuses dépenses. Il est trop onéreux pour être au surplus lié à l'ascèse. En contrepartie, les états mystiques, extatiques, qui n'entraînent pas la ruine matérielle ou morale, ne se passent pas de sévices exercés contre soi-même. L'expérience que j'ai de l'un et des autres rend claires à mes yeux ces conséquences contraires de deux sortes d'excès. Pour renoncer à mes habitudes érotiques, je devrais inventer un nouveau moyen de me crucifier : il ne devrait pas être moins enivrant que l'alcool.

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Pendant quelques jours, la vie accède à l'absurdité vide. Il en résulte une merveilleuse détente : à l'esprit se révèle la puissance illimitée, l'univers à la disposition du désir, mais le trouble s'introduit vite.

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Un homme, une femme, attirés l'un vers l'autre, se lient par la luxure. La communication qui les mêle tient à la nudité de leurs déchirures. Leur amour signifie qu'ils ne voient pas l'un en l'autre leur être, mais leur blessure, et le besoin d'être perdu : il n'est pas de désir plus grand que celui du blessé pour une autre blessure.

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Chaque homme est étranger à l'univers, appartient aux objets, aux repas, aux journaux – qui l'enferment dans sa particularité -, le laissant dans l'ignorance de tout le reste. Ce qui lie l'existence à tout le reste est la mort : quiconque regarde la mort cesse d'appartenir à une chambre, à des proches, il se rend aux libres jeux du ciel.

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Il est dans le visage humain une complication infinie de détours et d'échappatoires, répondant au trafic d'esprit sur quoi tout repose. On n'imagine plus de réduire la vie à la simplicité du soleil. Chacun de nous toutefois, porte en lui cette simplicité : il l'oublie pour des complications de hasard, dépendant de l'angoisse avare du moi.

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Une sorte de rayonnement, le bonheur physique et, je le crois, le plus violent : je suis le lézard des murailles ! Au soleil, un chaos où le sang s'écoule.
Au hasard des chances... hier je n'aurai parlé que d'angoisse ; je me vante aujourd'hui – il me faut me vanter _ de mon « impassibilité lucide » ! De chaque humeur l'origine est capricieuse. L'existence animale, que mesure le soleil ou la pluie, se joue des catégories du langage.




Untitled drawing for Soleil Vitre by Georges Bataille