vendredi 7 octobre 2011

Paul Eluard à Félix Labisse


Félix Labisse


             Chronique 

Le ventre gros de printemps
c'est une femme qui naît

Sous le poids du soleil vert
Les nuages disparaissent

Dans leur eau pure les bêtes
Fendent les herbes du ciel

La femme à levé la tête
Et ses songes la dévoilent

Le chemin de son sourire
Passe par ses seins d'oiseau

Que guettent les bêtes tendres.



L'abc de la récitante

Je compte sur mes yeux un et deux dira-t-elle
Pour voir ce que doit voir l'affalée que je suis
Couchée et nue et chaude au pied du haut miroir
Et mouillée comme un nouveau-né je me pourlèche

Je compte sur mes doigts un deux trois dira-t-elle
La multiplication de mes soupirs profonds
Le sac de mes désirs s'entrouvre sur le lit
et j'ai le plein soleil dedans avec mon rouge

Je compte sur mon sexe et mes fesses pour tendre
Un piège au plus prudent et à la plus prudente
J'ai du goût pour chacun mais je me tiens en moi
Tapie comme l'alcool dans la main d'un ivrogne

Mes aspects sont variés j'ai du poil j'ai des plumes
et l'écorce d'un arbre augmente ma peau brune
J'ai de la terre au creux de ma main et je me love
comme un fleuve sans eau où les baigneurs se noient

Mes talent sont nombreux je sais singer la bête
Et m'alléger d'aurore tout comme une alouette
Je sais faire pleurer les plus indifférents
Et rire bêtement ceux qui se croient malins

J'ai des griffes des crocs j'ai des lèvres d'écaille
Et des lèvres de soie et de miel et de glu
Pour enrober l'azur et sa salive fade
Ma langue sur les bords de la chair se dévoue

Je caresse mes fruits débordants de science
Qui donc pourrait régner hors de mon cœur total
Je sais tout et j'apprends à oublier je tresse
Une énorme couronne à mon ventre à mon sang.


Félix Labisse - La visiteuse - 1944 -

( Extrait de Paul Eluard "Voir" Editions "Trois Collines" 1948 )

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