Quand j'ouvre très grand les yeux les images
de la réalité sont brisées comme lorsque je les
ferme.
Cette petite remarque est peut-être à l'origine
de ma volonté de peindre.
La vigne et le vin |
Grâce à la peinture je crois que j'ai pu me sauver du suicide. Par une sorte de curiosité perpétuelle pour tout objet : un fil d'herbe, une mouche, un escargot, un homme, un nuage. Cela aussi c'est la volupté du peintre. Cette nécessité de peindre elle est en moi à toute minute ; j'ai des yeux qui regardent et qui commandent à mes doigts. Tout peut me servir à peindre, tout me sert à continuer à vivre sans trop sentir les contraintes de la société avec laquelle je me sens bien souvent en contradiction. La peinture suit les courbes de ma vie, mes désirs, mes passions, mes détresses, ma quête. Je n'ai jamais eu de préoccupations vénales, seule chose, sur ce point, dont je me vanterai. M'amuser en peignant, m'émouvoir, apprendre à connaître, voilà pour moi l'essentiel de cet art.
La personnalité du peintre n'est pas de se refaire perpétuellement, de répéter toujours la même chose. Il y a de nos jours des peintres qui sont de vrais automates, de vrais répétiteurs de tableaux ; des peintres qui travaillent comme dans des usines, à la chaîne. Là, je voudrais citer Ionesco parlant de Croce : « Benedetto Croce a été je crois le seul à nous donner un critère à peu près précis pour reconnaître la valeur d'une œuvre d'art. Celle-ci a de la valeur quand elle apporte du nouveau. L'histoire de l'art et de la littérature étant l'histoire de son expression, il y a valeur lorsqu'il y a expression nouvelle, autre chose : c'est donc l'originalité qui est garante de la valeur. »
Les variations citadines 1990 |
Croce n'a-t-il pas été le premier à formuler clairement ce que nous demandons à l'art moderne, à la peinture moderne ? Je pense que oui.
Je voudrais être visionnaire, percer un secret. Le mieux, dans ce cas-là, n'est il pas de ne rien savoir et de chercher ?
SI ON A L''HUMANITÉ DU SAVOIR, ON A LA GRANDEUR DE LA VÉRITÉ.
Derrière le secret de l'art, pour moi, est la réponse à une énigme. Il y a comme de la magie là-dedans. C'est pour cela que j'aime tant de Chirico. Plusieurs de ses tableaux ont été comme un révélateur de moi-même. Ils m'ont découverte. Sait-on d'où ils viennent ? On peut à peine porter un jugement sur eux. Si mes tableaux avaient cette qualité magique, je serais contente d'eux.
Y a t-il une perfection dans l'art, je me le demande. L'art est beau par son imperfection même. L'homme peint parce qu'il est imparfait. L'art est le propre signe de son impuissance. Si l'homme était parfait, l'art n'existerait pas plus que la couleur qui n'existe pas, dont parle Lovecraft dans une des ses nouvelles fantastiques. La couleur tombée du ciel, qui tue les hommes. Pour un peintre, le plus grand bonheur imaginable serait de peindre une couleur redoutable et d'en mourir. Peut-être est-ce pour cela que les peintres sont fascinés par le blanc et le noir qui ne sont pas des couleurs mais des reflets d'essence.
Les Variations Citadines, 1992 |
Le jour où je ferai LE TABLEAU, celui qui répondrait aux questions fondamentales, métaphysiques, de mon existence, alors ce jour-là je mourrais. La mort d'un peintre pourrait aussi être un suicide causé par l'impossibilité de finir son tableau, de trouver la couleur qui n'existe pas, d'entrer dans la couleur mortelle.
Au cours de ma vie, je suis arrivée à acquérir plus de sûreté, par une constance plus grande. Je peux aller davantage en profondeur. Je vois quelque chose encore plus loin, mais toujours sur une ligne droite. Plus ma mort approche, plus la route est droite.
Ce qui est curieux dans le métier de peintre, c'est que plus on est dedans, plus on a l'impression qu'on s'en évade. J'ai de moins en moins besoin de voir des œuvres de peinture et en même temps la peinture m'est devenue plus essentielle que tout au monde. Je n'ai plus besoin de celle du dehors, mais de celle du dedans. Dans mes voyages, dans mes évasions, je vois tout comme un peintre et pourtant j'intériorise tout.
Cette sûreté du juste regard, c'est le coup d'œil du peintre.
Plus je peins et plus je m'évade, disais-je. Mais je suis loin du virtuosisme. La virtuosité est à l'opposé de la création originale. Certes, le créateur doit être doublé d'un exécutant. Mais je me préoccupe peu de celui-ci. Pensons à Michaux. Avec quelle humilité nous dit-il qu'il n'a pas de métier, pas de talent. Et il en a fait tellement plus que les autres. C'est un être qui cherche l'avenir dans l'informe, par le sens mystique. C'est mon maître : grâce à lui, j'ai compris que la peinture était méditation. Mes dessins réalisent le mandala.
Profil Patchwork |
A propos de l'idée de représentation, je pratique un certain animisme à l'exemple de Michaux. Il est bon d'avoir des ailes, de sortir de l'être et de notre petit univers d'homme. C'est ainsi qu'à travers le déséquilibre je cherche l'équilibre. Dans mes tableaux, sans intention préconçue, il y a presque toujours le nombre d'or ou la symétrie. Comme dans la spirale de l'escargot, il y a la courbure essentielle de la croissance. Quand j'ai eu ma première crise d'hernie du disque, il m'a été révélé que j'avais la colonne vertébrale droite comme une flèche, plus droite que celle des danseurs. Elle représente pour moi la tour des cathédrales gothiques, la montée vers la spiritualité. Si les gens ont tous des arthroses, aujourd'hui, c'est par manque de spiritualité...
L'art, la peinture devraient tendre vers cet unique but : la conquête spirituelle.
Sans doute, la poésie et la peinture ont même essence. Rappelons-nous toujours cette phrase de Chirico à propos de Courbet : « Puisqu'il était poète, il aimait bien peindre. » Le monde des hommes peut être séparé en deux : ceux qui aiment la poésie, ceux qui ne la sentent pas. Ces derniers n'ont pas de mains. Les seuls vrais seigneurs aujourd'hui sont les grands poètes : Saint-John Perse, Michaux, Ungaretti, Pound...
La supériorité unique de l'homme est de pouvoir être exalté par ses facultés créatrices et fabulatrices. Je n'ai pas d'idée bien optimiste sur l'homme. Je ne crois pas beaucoup à l'histoire, à la civilisation, au progrès. La seule chose sublime que je reconnaisse à l'homme, c'est son imagination gratuite. Plus il imagine, plus il m'exalte.
Bona de Mandiargues with André Breton |
Je crois que c'est au moment où le peintre sort de la peinture qu'il y entre. Tant qu'on est obsédé par la peinture, on n'est pas vraiment peintre. Tant qu'on a souci de sa personnalité, on n'est pas original. Parfois, j'ai rêvé de peindre comme si j'étais aveugle ; de sentir les choses sans les voir pour les rendre plus purement, plus idéalement. Au-delà de la vue, au-delà de la société, au-delà de la matérialité. Je me plais, grâce à mon art, à une exploration plus vaste ; à sortir de moi, comme dans le zen, comme si je pouvais entrer dans l'objet que je regarde pour échapper à une perception facile, première, grossière.
L'œuvre d'un peintre est une suite de choses très différentes s'il ne veut pas tomber dans l'art de série. Je me suis toujours moquée que l'on me dise que je n'ai pas de personnalité parce que je n'ai pas assez d'étroitesse d'idée ou de suite dans les idées.
Mieux vaut aller vers l'inconnu et en lui, si c'est possible. L'œuvre se fait dans la gestation. C'est avant la création que tout se fait, comme avant la naissance pour l'enfant qui deviendra un homme. Mon tableau est forcément imbibé de la vie qui l'a porté. Mes manques et mes vertus s'y reflètent.
J'ai voulu ma vie comme un enrichissement. J'ai été intéressée par tout. Je n'ai rien refusé.
Man Ray - Bona de Mandiargues vers 1960 |
Les choses et les mots dit-on, se répondent. J'ai la nostalgie des mots. Je les aime comme on aime physiquement. Je les concrétise, je leur donne une image, une forme. C'est pour cela que je me plais à illustrer les poètes.
L'idéal, pour un peintre, pourrait être d'avoir joui de tout, d'avoir eu toutes les émotions. Et de livrer son être aux autres, aux non-initiés, à l'art. C'est pour cela que je m'efforce de travailler de façon paysanne et que je tends aux images les plus simples. Le visionnaire vers lequel je tends voudrait donner à voir.
C'est encore et toujours à Michaux que je pense quand je crée. Il a écrit, une fois, que « la foule refoule l'ange ». N'est-il pas vrai que l'artiste est un ange constamment souillé par la société, par la consommation immédiate qui se moque du don gratuit ? L'artiste est un être pudique, qui se voile, mais qui ne craint pas d'aller dans le scandale aussi, dans l'agressivité, pour arriver à la pureté, pour retrouver l'enfant qu'il était autrefois.
Suivant la leçon surréaliste le peintre que je suis bannit le classicisme : je veux désapprendre à savoir, à copier, à interpréter pour apprendre enfin à être, à dire, à découvrir, à déranger à enchanter...
(Extrait de Bona de Mandiargues et Alain Vircondelet « Bonaventure », éditions Stock, 1977)
Bernard PIVOT reçoit des auteurs dont le point commun est l'écriture sur le surréalisme ; un invité surprise est annoncé pour la fin de l'émission et pour lequel une chaise vide est réservée.Bona PIEYRE de MANDIARGUES, peintre surréaliste et auteur de "Bonaventure" parle de sa peinture et du surréalisme en peinture...
Man Ray - Bona de Mandiargues 1933 |
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