mercredi 2 mars 2011

ANDRÉ DELONS

L’INCANTATION DU GRAND DESASTRE*

Lourde des trois saisons suspendues à sa tête
marchant par le hasard et disant le destin
la voix tremble en voyant quel sera l’espace
trois visages imprévus se rencontrent soudain
et dansent devant elle pour éprouver l’orage

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Le cadavre en passant perdait ses oubliettes
et rentrait dans le sol bien armé de ses dents
mais la dame soudain lui montrait les cachettes
où les aigles mortels s’effondraient en criant

goth  veineiénéla  venen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Pour danser sur la braise il faut mourir avant
répondaient les oiseaux les doux oiseaux de poudre
et les yeux qui montaient à la corde des ombres
et les yeux qui blessaient les yeux des fins du monde
abattus sur les eaux laissaient tourner le vent

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Mais l’arbre des unions n’entendait pas merveille
la cloche inespérée se mariait au feu
et l’ordre d’avancer chanté par les corneilles
se lava de vin tiède et fit la part des dieux

goth  veineiénéla  veinen  goth
goth  veineiénéla  veinen

Alors quatre géants descendus des abîmes
portés par l’Animau qui buvait ses aïeux
assis sur les décombres éteignant les victimes
firent tomber les fruits en chantant leurs adieux
goth
goth
goth  veineiénéla  veinen  goth
                                           veineiénéla  veinen
                             veinen  veineiénéla  veinen
                  goth  veinen  veineiénéla  veinen               
                                                                                       goth

(*)Le grand Jeu, n°3 (octobre 1930). Le poème date en fait de 1929, et Delons l’avait proposé d’abord aux Cahiers du Sud.


                                                             
                                                                         ***
 

      Certaines musiques devenues reines, établies en plein silence, et fracassantes dans leur douceur,
certaines musiques douées de coups d’épaules et  de larges océans d’ombre, remuaient, remuaient,
mangeaient l’espace à pleins nuages, et soudain, à l’heure de la marée basse, accentuées par un tonnerre invisible et secret, se précipitaient devant lui : chants de bouche close, avec les vraies paroles lourdes et inexprimables. Chant de l’abandonné et chant du grand Convive.

       Le promeneur habité du désastre, se retrouve un jour à errer seul au bord d’une plage sèche, lavée de vents, et parfaitement immense. Il avance comme on dormirait. Plus tard, il s’agira peut-être de retrouver quelque chaleur, d’aborder avec modestie les tables où s’assemblent des personnes rieuses, et de tenir un langage perpétuellement trébuchant, renouvelé par la lumière qui tombe, le feu qui couve, la lumière qui s’allume et l’heure. Il se souvient qu’étant enfant et presque dans les mêmes circonstances- les mêmes vraiment, tout à fait les mêmes, si ce n’est qu’un objet réel, ici, qu’un corps réel, qu’un regard réel font tout son trouble, alors que jadis sans doute ce n’était que le souvenir prémédité de cette absence qui était son dénuement- il lui arrivait de passer au bord d’une maison où une femme incertaine jouait avec insouciance sur un piano. Cette musique le surprenait et le calmait, avec tous les signes d’une promesse qu’on jetterait devant lui, dans le vide, pour son propre vide, avec les doigts même du hasard. Il n’y avait pas de doute que l’ombre portée par ces mains sur ce clavier ne fût celle même qui bougeait sur la ligne de ses pas et qu’une même connaissance agissait de l’une à l’autre ombre, en dépit des apparences de légèreté ou de joie étrangère, ou encore de nullité, qui parcouraient à cet instant les gammes profondes, de l’autre côté de lui, au fond de la lumière autour de laquelle tournaient les gens heureux. Il n’y a pas de regard plus sûr qu’un chant qui s’abat sur les épaules dans l’obscurité du malheur.


( André Delons « du Grand Jeu » Poèmes 1927-1933 suivi de L’homme désert » Extraits.
Textes réunis et présentés par Alain et Odette Virmaux, éditions Rougerie 1986. )

Artür Harfaux - Portrait de André Delons et Maurice Henry,

http://fr.wikipedia.org/wiki/André_Delons

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